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Le XIXème des De Crécy...

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Le XIXème des De Crécy...
11 août 2008

ce qui s'est passé durant le mois, joie de pouvoir se rendre à Paris, enfance de Simone...par Rosalie

20 mars 1824                                                                                                            Houbois

Ma très chère Inès,

J’ai été très surprise mais agréablement rassurez-vous, de recevoir si tôt une nouvelle lettre de votre part. En effet, ma dernière missive datant d’à peu près un mois, quel étonnement de voir sur la vôtre la date du 7 mars. Avant de commencer à la lire, je me suis dit que soit le facteur avait volé à la vitesse d’un aigle pour vous apporter la mienne, soit que vous ne l’aviez pas encore reçue et vous aviez l’intention de devancer ma lettre. Bien sûr, la deuxième solution étant la plus probable, elle fut aussi la bonne.

Je ne saurai dire exactement pourquoi, mais cette lettre ma ravie, peut-être parce que c’était un courrier inattendu et imprévu. Votre papier diffère légèrement des précédents, je trouve le ton plus enjoué, plus désinvolte ; le style est propre à lui-même, c'est-à-dire très soigné, mais avec une petite touche de délibération en plus. Quant au contenu, il est plein de suspens et de rebondissements, mais j’y reviendrai plus tard. Vous voilà donc au courant de l’effet qu’à eu votre lettre sur moi, et je n’ai pu m’empêcher de la relire plusieurs fois pour bien m’en imprégner.

Pour commencer, je vous donnerai comme vous l’avez demandé des nouvelles de Houbois, mais je dois dire qu’en un mois il ne s’est pas passé beaucoup de choses croustillantes et susceptibles d’être narrées. Je vous relaterai cependant les quelques événements survenus au cours de ce mois qui puissent attirer votre curiosité.

Amanda a donc fêté ses 14 ans le 2 mars. Elle était très émue et visiblement très heureuse ; je ne sais pas pourquoi mais elle pense qu’avoir 14 ans signifie passer à l’âge où l’on commence à être considéré comme adulte. Je l’ai cependant avertie que ce temps n’était pas tout à fait arrivé et qu’il fallait attendre d’avoir fait sa première sortie dans le monde pour pouvoir jouir d’un tel statut. Mais elle a fait mine de ne pas entendre et a dit qu’ « aujourd’hui, [elle] devenait grande ». je lui est alors répliquer que si elle décidait de devenir adulte maintenant, elle devait donc se comporter comme tel. Elle m’a alors demandé ce qu’elle devait faire pour y parvenir, et je lui ai plutôt répondu ce qu’elle ne devait plus faire : la sotte, l’enfant gâtée, les enfantillages… Ces remarques l’ont fait réfléchir et elle m’a alors dit : « tu as raison, Rosalie, j’ai encore envie de faire des bêtises, je suis trop jeune pour devenir adulte, je préfère attendre encore un petit peu ». Elle a alors explosé de rire et est partie en courant rejoindre votre sœur pour quelques insanités sans doute. La journée s’est relativement bien passée, excepté le moment où il a fallut aller coucher papy Emile qui ne tenait plus debout ni même assis, probablement à cause d’un trop plein de nectar dans le sang. J’espère que son ineptie de ce jour là ne parviendra pas aux oreilles des commères du village. Mais ce ne serait qu’une fois de plus…

Il y avait présents bien sûr à cette petite réunion vos parents qui je dois dire sont en excellente forme. Votre père nous a beaucoup fait rire en nous narrant quelques anecdotes familiales pour le moins très drôles. Il nous a par exemple dit que feue notre grand-mère, Martine, voulait tellement empêcher papy Emile de boire que lorsqu’il s’achetait des bouteilles, mamy s’empressait soit de remplacer l’alcool par une boisson non alcoolisée, soit d’y mettre du vinaigre à l’intérieur. Le goût était alors si désagréable que papy ne pouvait boire et maugréait sur la qualité des produits vendus en magasin. Il ne se doutait même pas que mamy était passée par là…   

Papa et Maman se portent bien, ils sont heureux pour Eléonore qui va participer la saison prochaine à son second bal en compagnie bien évidemment de son cher Emmanuel. Elle commence déjà à imaginer sa future robe et il semblerait qu’elle ait opté pour une couleur écru, car apparemment, le duc de Laryn n’y serait pas insensible. Peut-être lors de ce bal l’invitera-t-il à visiter son domaine, qui sait ? Je pense sincèrement que ces deux là sont faits pour aller ensemble, et ce n’est pas qu’une certitude, c’est une évidence : ils se complètent à merveille.

Je pense souvent à Clairefontaine et donc à Edouard et Juliette. J’ai souvent des nouvelles d’eux et ils ont l’air d’apprécier fortement leur petit nid douillet. Ils ont même fait la connaissance du voisinage et il paraît qu’un jeune couple, les Anthelios, résident non loin de chez eux. Ils se sont rencontrés et se sont immédiatement appréciés. La jeune Mme Anthelios est enceinte de son premier enfant. Juliette à l’air de s’intéresser de très près à cette grossesse. Peut-être a-t-elle des idées derrière la tête…cela ne me dérangerait pas, pour ma part, de devenir tante mais il me semble cependant que l’idée d’agrandir la famille ne soit pas dans les projets de mon frère. Il vient d’acquérir un domaine, est encore jeune et préfère penser à autre chose que de pouponner un bébé. Et d’ailleurs je ne le vois pas beaucoup dans ce rôle ! Quant Amanda était encore bébé, il se s’approchait guère d’elle, décrétant que les cris du bébé lui faisait mal aux oreilles. Je ne sais pas ce que pense papa et maman de tout ça, je leur poserai la question à l’occasion, mais pour le moment, mes parents se préparent à effectuer à leur tour un séjour à Clairefontaine, ils pourront alors s’apercevoir et juger eux-mêmes de la situation. Mon frère les a gentiment invités à venir pour une semaine pour leur faire découvrir son beau domaine. Mes parents sont très heureux de quitter un peu leur « chez eux » qu’ils ne parlent que de ce voyage ! En effet ils ont rarement l’occasion de quitter Houbois et un peu d’air « nouveau » leur fera le plus grand bien. Etant donné leur nature anxieuse, ils s’inquiètent évidemment pour nous et se font un sang d’ancre de nous laisser seules, mes 2 sœurs et moi. Mais je les ai rassuré que nous sommes des filles responsables (du moins Eléonore et moi) et que nous surveilleront de près et de loin la tornade Amanda. Dommage que vous n’êtes pas là, je vous aurais volontiers invité à venir passer la semaine en ma compagnie à Houbois, mais je suis sûre que là où vous êtes, vous vous amusez très bien. Il faudra cependant à votre retour, que vous me fassiez le plaisir de venir chez moi : j’ai accroché dans ma chambre quelques tableaux que j’ai peint moi-même et connaissant votre talent dans ce domaine, j’aimerais que vous me donniez votre avis.

J’ai eu récemment vent d’Agathe Laboursein. Aux dernières nouvelles, elle aurait revu Tanguy Briquot…mais également le comte de Montbistou ! En effet, d’après les bruits qui courent, la demoiselle aurait été invitée chez Mr Briquot pour un déjeuner un lundi. Elle s’y est alors rendue mais je ne sais pas ce qui s’est passé. Je suis seulement au courant qu’elle y est restée tout l’après-midi et une bonne partie de la soirée. Tout laissait à croire qu’elle se plaisait avec lui, pour être restée aussi longtemps en sa compagnie, d’autant plus que lorsque qu’elle a quitté son domaine à une heure tardive, elle a été perçue avec un grand sourire aux lèvres et elle marchait plutôt gaiement. Tout le monde s’intéressant à son cas s’est alors dit que « les jeux étaient faits » entre eux et que certainement on les verrait désormais très souvent –pour ne pas dire tout le temps- ensemble.

Mais brusquement, le mercredi, la jeune bourgeoise à quitter notre village pour se rendre…à Genève, où le comte résidait toujours. Actuellement, elle n’est pas revenue, cela fait déjà plusieurs jours qu’elle est partie. Je n’ai pas croisé Mr Briquot, et je n’ai rien entendu à son sujet qui pourrait expliquer le départ brusque d’Agathe. Mais peut-être celle-ci avait déjà prévu de se rendre à Genève avant d’être invité chez Mr Briquot, pour s’excuser d’avoir dû annuler son dernier voyage. Quoiqu’il en soit, cette fille est une indécise et son cœur semble hésiter d’une personne à l’autre. Pour ma part, je choix serait vite fait : ni l’un ni l’autre ! Ces deux hommes ne me conviennent nullement mais ils correspondent par contre très bien à Mlle Laboursein. Alors quand saurons-nous si nous aurons le privilège de dire Mme Agathe Montbistou ou Mme Agathe Briquot ? 

Je pense qu’à l’heure qu’il est, vous avez reçu ma lettre précédente. Vous savez donc que je suis invitée au bal par Victor de Vélitis, le duc pour qui disons, je ne suis pas insensible. La soirée aura lieu dans quatre jours, c'est-à-dire donc le 24 mars. Je me fais une telle joie de pouvoir sortir et rencontrer du monde ! Surtout que je ne connaîtrai pas la plupart des personnes présentes, je n’ai d’ailleurs même jamais adressé la parole à l’organisateur de la soirée, Paul de Montellier. J’espère que la soirée se passera agréablement et sans incident car je suis timide lorsque je ne connais personne, mais je suis sûre que l’entourage de Victor ne peut être que de bonne compagnie et me mettra à l’aise. Quoiqu’il en soit, je suis parée et fin prête, j’ai choisi une belle robe sans prétention mais chic, en velours noir, assortie avec chaussures et sac à main. Je demanderai à Marinette, la bonne, de me coiffer : elle est très douée de ses mains et a beaucoup de talent pour mettre les gens en valeur.

Bien entendu, je vous enverrai une prochaine lettre dans laquelle je vous raconterai dans les moindres détails ma soirée.

Le mois de février s’est terminé sur une note de fraîcheur puis à laissé place à la douceur de mars. Les jours commencent doucement à s’allonger, les bourgeons apparaissent, et les feuillages reprennent petit à petit. La chaleur printanière se fait sentir et le soleil montre peu à peu le bout de son nez. Je suis impatiente de pouvoir ressortir de la maison et pouvoir me balader à cheval ou à pied à travers les sentiers de Houbois. Je commence à me lasser de rester enfermée à l’intérieur de la maison, d’autant plus que je n’ai plus un seul livre à lire ! Je les ai tous dévorés cet hiver, quand je vous disais m’ennuyer et avoir besoin d’aventures.

Mais on dirait que le destin se mêle à la partie, puisque, alors que vous n’étiez même pas au courant de mes envies, vous me proposez de vous rejoindre à Paris ! Voilà exactement ce que j’attendais ! Moi qui rêvais de quitter la maison familiale quelques temps, que suis-je heureuse de votre invitation ! J’attends le retour de mes parents de Clairefontaine pour leur en parler et je vous donnerai la réponse plus tard. Je pense qu’ils seront ravie pour moi et je serai moi-même ravie puisque je ne serai pas obligée de leur dire que je souffrais de rester à la maison. Votre invitation tombe vraiment au bon moment même si je dois encore patienter deux mois. Mais je tiendrai ! De plus se sera pour nous l’occasion de nous revoir et cela me comble de bonheur. Cela fait si longtemps que nous ne nous sommes pas parler face à face ! J’ai envie d’admirer votre beauté, votre simplicité, votre élégance naturelle. J’ai envie que vous me fassiez découvrir les meilleurs coins et recoins de Paris, j’ai envie de changement, de renouveau, de découvertes, et tout cela vous et Paris pouvez me l’apporter ! Grâce à vos descriptions, je peux m’imaginer le décor dans lequel vous vous trouvez, mais le découvrir par mes propres yeux, et en compagnie de ma cousine préférée, quel bonheur ! C’est vraiment un bonheur inespéré qui me tombe dessus et ceci grâce à vous, je vous en remercie chaleureusement. Je vais enfin retrouver ma vitalité de jeune femme et pouvoir me ressourcer.

Le mois de mai sera idéal pour voyager, il ne fait ni trop chaud ni trop froid, le printemps est bien installé, les arbres sont en fleurs et le soleil rayonne. Je sens déjà que mon voyage sera un pur moment de plaisir.

Aurai-je la chance, durant mon séjour parmi vous si mes parents l’acceptent, de rencontrer ce fameux Jonathan de Châtivard ? Il est très important pour moi faire connaissance et encore mieux d’apprécier le, disons, prétendant de ma chère cousine. Je ne me fais pas de soucis, je sais que je le trouverai très convenable et à la hauteur de mes espérances et bien sûr des vôtres. Mais peut-être que je m’avance sur un terrain glissant : je m’invente et m’imagine des histoires sur votre compte et sur le sien alors que tout cela n’est peut-être qu’illusoire et tout droit sorti de mon esprit très créatif. Alors je vous en prie Inès, ouvrez-moi bien votre cœur et laissez parler vos sentiments, vous savez que je suis une confidente et surtout une cousine sur qui l’on peut compter. J’ai sincèrement envie de vous revoir, j’ai hâte de vous entendre me raconter de vive voix les petites anecdotes sur votre frère, les travers de Marianne, ses suspicieuses relations. Les Fretty-Lingedon me paraissent douteux et étranges. Vous m’avez dit avoir entendu Mme Fretty marcher seule la nuit, peut- être découvrirez-vous un secret, terrible, mystérieux, amusant, angoissant, ridicule ? Je sais que vous me relatez tout (ou presque) de ce que vous faîtes, mais entendre votre suave voix me répéter ces événements me sera d’un plaisir absolu et certain.

J’en viens pour finir sur un point qui m’a merveilleusement étonné : vous avez fait connaissance avec mon amie d’enfance Simone de Roumenon, car à l’époque, c’est ainsi qu’elle se nommait. Je suis si heureuse d’avoir de ses nouvelles, et bonnes en outre ! Nous nous étions connues effectivement à l’école de Chambéry. Simone paraissait timide, elle ne discutait pas avec les autres et restait dans son coin. Je me suis alors approchée d’elle doucement. Sur le coup, elle a paru effrayée mais quand elle a vu mon visage souriant, elle a compris que je ne lui voulais pas de mal. Elle ma alors souri à son tour et nous nous sommes tout à tour présentées. Elle s’appelait donc Simone, vivait déjà à

la Tour

du Pin, avait 2 frères. Son père était malade, il souffrait d’un mal dont on ignorait l’origine, voilà pourquoi la demoiselle avait l’air si craintif et vulnérable. Je pris le parti de la ménager et de lui faire oublier la maladie de son père, même si cette tâche était rude, surtout que je n’étais pas très âgée. C’est ainsi que nous sommes devenues amies. Petit à petit, je sentis que Simone souriait plus, qu’elle participait volontiers aux exercices collectifs. Peut-être y étais-je pour quelque chose, peut-être pas, mais son attitude joviale me comblait. Nous sommes restées inséparables jusqu’à la fin de nos études à Denis Diderot et lorsque nous nous sommes séparées, nous étions naturellement très affligées, mais nous nous étions promis de rester coûte que coûte en contact. Les premiers temps sans elle furent durs, les jours me paraissaient longs et monotones. Nous nous voyions quelques fois lors d’après-midi autour d’une collation mais plus le temps passait plus il fut difficile de se voir : nous avions chacune nos occupations qui nous prenaient du temps. Alors nous nous sommes mises, à la place, à nous écrire abondamment et fréquemment pour nous raconter nos vies respectives.  Son père était de plus en plus malade et elle trouvait sa vie plutôt insipide. Je lui conseillais de garder courage et que des temps meilleurs viendront. Malheureusement, c’est le contraire qui arriva. Son père mourut quelque temps plus tard et la pauvre fille en fut accablée de chagrin. Sa famille décida alors de déménager pour acquérir une demeure plus modeste, et pour oublier cette maison où le souvenir de chef de famille était encore trop présent. Elle me dit tout cela dans une lettre qui, je ne le savais pas encore, serait sa dernière à mon attention. En effet, ne connaissant pas l’endroit de son futur déménagement, elle ne pouvait me fournir l’adresse, je ne pouvais donc pas lui écrire. Il fallait donc que j’attende que se soit elle qui m’envoie sa première missive de sa nouvelle demeure. Cependant, j’attendis une semaine, deux, puis trois puis un mois, mais ce courrier ne vint jamais. Voilà comment j’ai perçu toute trace de la fascinante fille qui avait été à mes côtés pendant de nombreuses années. J’ai été très triste mais je n’en ai jamais parlé à personne, c’était trop douloureux, j’avais l’impression de m’être fait trahir par un être cher. Et même vous, Inès, n’en saviez rien. Mais si aujourd’hui j’ai décidé d’en parler, c’est parce Simone est réapparue et semble se souvenir de moi et même me revoir. Cela me fait chaude au cœur, voila pourquoi également j’ai envie de venir  Paris. Je pourrais ainsi m’entretenir longuement avec mon ancienne amie et connaître la raison de sa soudaine « disparition ». De plus, elle à l’air heureuse avec son mari et je suis pressée de savoir comment tout est arrivé. J’espère seulement que Sigmund ne ressemble pas (physiquement et mentalement)  à sa sœur, mais aussi lointain que mes souvenirs remontent, je ne crois pas qu’elle avait de mauvais goûts.

Quoiqu’il en soit, soyez rassurée, lorsque je recevrai son invitation, je ferai mine de n’être au courant de rien.

Sur ce, je vous laisse, je retourne vaquer à mes occupations futiles.

                                                           Très affectueusement, Rosalie de Rosyères.

PS : Qu’il me tarde de vous rejoindre ! Je compte les jours !      

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2 août 2008

Arrivée à Orléans, Mariage de Sigmund de Ferrande, invitation à Rosalie... par Inès

7 mars 1824                                                                                                                                                     Domaine de Liggendon,                                                                                                                                                                                              Orléans
                    Chère Cousine,

    Je ne puis attendre plus longtemps votre missive qui ne m'est point encore parvenue. Je vous serai obligée de me lire dans le plus grand silence et avec la plus grande disponibilité qui soit. J'ai une incroyable nouvelle à vous apprendre. Cependant je me proposes de vous faire languir un peu plus longtemps qu'il ne serait nécessaire en temps normal. Vous ne m'en serez que plus reconnaissante je suppose. Remarquez que je ne puis me départir de mon audace habituelle, cependant attendez avant de me reprochez quoi que ce soit.

    Tout d'abord,  je vous ferais le récit de mes nouvelles aventures, suivant le séjour à Châteauroux. Vous vous rappelez certainement que dans ma précédente lettre, Erwan, Marianne et moi-même fréquentions le duc de Chativard. Or il n'en fut plus question le lendemain du jour même ou je vous écrivais. Il devait quitter la ville dans les plus brefs délais, ayant reçu une missive qu'il l'informait de l'avancement du procès de son ami. Auparavant, cependant il souhaita connaître nos projets afin, dit-il, " que nous continuâmes à lier plus ample connaissance". Marianne, toute convulsée par une telle demande, s'empressa de les lui dire. Ainsi nous espérons dans nos prochains jours, nos prochaines semaines, (et je ne saurais m'empêcher d'ajouter dans le cas de Marianne), dans nos prochaines heures, la visite du duc.
    Comme il était partie promptement, nous n'eûmes pas le réflexe de trouver de nouvelles distractions. Marianne sentait "l'affreuse perte affligeante" (tels sont ses mots) d'un tel ami. Assurément nous devions le revoir. Comme rien ne semblait alléger sa douleur, je proposai à mon frère de poursuivre notre route. Ce que nous fîmes d'ailleurs. Durant deux bonnes semaines, nous voyageâmes sans prendre le temps réellement de nous fixer. La diversité du paysage est quelque chose qui me ravit toujours. Je lis également durant de trop longs trajets en voiture. Les contes philosophiques de Voltaire me ravissent, les romans de Jules Vernes m'émerveillent. J'aime en particulier Voyage au centre de la terre et Vingt Milles lieus sous les mers. Que le ton y est divertissant et les réflexions intelligentes! Nous y découvrons une autre réalité pleine de progrès et d'ingéniosité. Cependant les commentaires soutenus de Marianne me déstabilisent et m'affligent dans ma lecture. Les mots ne sont plus alors que des bêtes incompréhensibles et inconnues  à mes yeux. Sa voix en déforme leur sens, leur forme, jusqu'à leur en ôter la poésie et le bon goût du livre. Quelle saveur que la bouche de Marianne! Je plains fortement mon frère de subir une telle compagnie à chaque instant de sa vie.
    Ainsi dans un mélange de bonne et méchante humeur, nous poursuivîmes notre route. Nous arrivâmes bientôt à Orléans.  Marianne, souvenez-vous, tenions à ce que nous rendîmes visites à certains de ses amis, les Fretty-Liggendon. Nous nous présentâmes à eux le vendredi 3 mars. Ils nous offrirent de nous installer chez eux. Il est vrai que c' était en leur pouvoir: un grand domaine, une immense batisse (de 30 chambres environ, sans compter celles du personnel) et un parc si vaste, si joli que je me fis la promesse d'y aller dés qu'il m'y serait possible.
    Les Fretty-Liggendon sont des personnes assez curieuses pour ne pas dire bizarres.  Ils ont  chacun leurs propres appartements; l'un et l'autre à l'extrémité de la maison. Ils semblent pourtant bien s'accorder à première vue. Cependant en y regardant de plus près, je pus remarqué qu'à chaque parole de Frédéric F. Liggendon, Maryse F. Liggendon se pinçait les lèvres. Cette dernière me semble une personne de nature revêche que l'âge rend plus rude encore. Ses manières sont courtoises, cependant exagérées comme si elle recherchait votre confiance pour mieux encore vous jouer quelque mauvais tours dans votre dos. Je ne serais pas surprise d'ailleurs qu'il en fut ainsi. Je me tiendrais sur mes gardes à son égard. Hier soir, à une heure fort avancée, alors que je lisais tranquillement dans ma couche , j'entendis des bruissements dans le couloir contigu à ma chambre. Je me levais avec discrétion et sorti sur la pointe des pieds. Je n'eus que le temps d'entre apercevoir une ombre se glisser sur le mur du fond vers une autre galerie. Cependant j'avais eu le temps de reconnaître le dos voûté, la gestuelle indolente de Maryse Fretty-Liggendon. Je me posai mille questions: que faisait-elle? que cherchait-elle? pourquoi à cette heure-ci? pourquoi dans cet endroit?. J'étais fort étonnée. Je vous rapporterai l'éclaircissement de ce mystère dés que j'en aurais plus appris encore.     Frédéric F.Liggendon, quant à lui, me semble une personne de nature joviale, exubérante et frivole. Je ne saurais lui reprocher quelque chose sinon ce goût immodéré pour le jeu semble t-il. Je me souviens que Marianne qui s'entend davantage avec sa femme,  m'avait raconté quelques malheurs que cette vilenie lui avait apporté. D'une certaine manière, il me rappelle grand-père Emile avec son penchant pour la boisson. 
    Ils n'ont pas d'enfants. Aussi ils se permettent de nombreuses folies auxquels, nous autres, familles nombreuses, devons renoncer. Malgré leur train de vie me parait ennuyeux. Ils ne profitent de rien sinon du jeu et de leur toilettes. Les deux sont des êtres d'une très grande coquetterie. Figurez-vous qu'un jour alors que nous nous promenions dans les rues d'Orléans, j'entendis notre hôte se plaindre auprès d'Erwan du manque de talent de mon frère pour se vêtir. Pensez-vous, Erwan est toujours très élégant. Marianne en fut très peinée. Cependant, mon frère accepta la remarque et promit à Frédéric F. Liggendon de l'accompagner dans les dernières boutiques d'Orléans très en vogue l'après-midi même. 
    Les promenades dans le parc, sont mon seul véritable moment de répit. Je m'y balade seule, à cheval ou à pied. Je monte souvent un hongre brun du nom de Mistral. Un bel animal, nerveux et intrépide. Son ancien propriétaire, me dit l'écuyer s'en était séparé car l'amie de son fils avait fait une chute grave. Cependant, alors que le père voulait envoyer le cheval à l'abattoir, le fils s'interposa. Il proposa de le vendre, aimant trop l'animal mais aussi son amie. J'écoutais cette histoire avec attention bien que je fus plus intéressé par l'animal que son précédent propriétaire. Je demandais à l'écuyer, si Frédéric F. Liggendon était content de son investissement en achetant cette bête. L'écuyer fit la moue. "Monsieur ne sort pas souvent à cheval, il préfère sa voiture attelé à ses welshs", m'apprit-il. Très certainement, ces animaux sont fringuants, je fis constater, mais à vous Rosalie, je vous avoue que ma préférence va à cet animal, si robuste et fier.
    Ainsi, avant-hier, alors que je me promenais en montant Mistral, j'entendis Marianne accourir suivi de très loin par les vieux pas de Maryse F. Liggendon. 
- Inès, Inès, hurlait Marianne, descendez de la tout de suite! Venez vite! Nous recevons cet après-midi de la visite.
    Qui cela pouvait-il bien être? En voyant l'enthousiasme de Marianne, je songeai soudainement à Jonathan de Chativard. Cependant, ce ne pouvait être lui. Il était occupé à plaider la cause de son ami. Qui cela pouvait-il être?
- Mon frère Sigmund, arrive tout à l'heure, m'apprit Marianne. Dépêchez de descendre de cet animal et d'aller changer de toilette. Vous avez une mine affreuse. Je ne pourrais souffrir que mon frère fut reçue par ma belle-soeur déguisée en souillon.
    Elle me coupait les mots de la bouche. Certes, j'avais l'habitude qu'elle me critiqua chaque jour, chaque heure, chaque fois que je fus en son horrible compagnie. Cependant, jamais elle ne l'avais fait si ouvertement, devant une autre personne en plus. Maryse F. Liggendon en riait aux éclats. Je pris le parti de ne rien dire et pressai les talons afin d'engager mon cheval à prendre le galop. Je m'enfuis pour provoquer l'horrible Marianne. Cette manoeuvre eut l'effet désiré. De grands cris rompaient le silence du parc alors que les foulées de Mistral augmentait la distance qui me séparait de Marianne. Cependant, par respect pour mon frère, je rejoints les écuries quelques instant plus tard et me précipitais vers la maison pour me préparer.
    Au diable ce singe de Sigmund. Il ne m'intéressait pas. Pourquoi toujours suivre la bienséance? Cependant je l'appliquai. Je descendis vers midi dans le grand salon. Nous l'attendîmes. Enfin, quelques bonnes heures plus tard, Joséphine, la domestique, nous l'annonça. Il entra, nous le crûmes seul. Nous nous trompions.
- Ma chère soeur, s'exclama Sigmund de Ferrande d'un ton d'une extrême joie. Quel plaisir j'ai à vous revoir!
    Etait-ce possible de prononcer ces mots et ceci, de surcroît avec une parfaite sincérité? Je me mordis les lèvres pour ne pas rire.
- Sigmund, minauda Marianne, quelle jouissance que de vous recevoir. Je suis toute heureuse depuis ce matin à cette idée. Mais... Mais... Sigmund, qu'est-ce... vous n'êtes pas seul... Mais Sigmund... qui est-ce?
A cet instant, entra une jeune femme d'a peu près mon âge, ou de deux ans plus âgée, gracieuse et sans prétention.
- Bonjour à vous tous, continua Sigmund, Marianne, pardonne moi ta surprise. Je te présente,  ta nouvelle belle soeur, Simone de Ferrande, mon épouse.
    À l'évocation de son nom, l'intéressée s'inclina et prononça ses formules de politesse, son enchantement et tout les bons propos recommandés en ce genre d'occasion. Cependant, Marianne n'en écouta pas un traître mot, offusquée, décontenancée. J'ajouterai même que tout la palette du colorie rouge courra sur son visage catastrophé, sans oublier les grimaces.
- Sigmund, que dîtes-vous? C'est impossible, Sigmund, voyons, quelle est cette aberration ? Quel bon plaisantin vous faîtes! Vous n'êtes pas sérieux? Vous n'êtes pas marrié, car enfin le mariage...
    Je pris pitié pour l'épouse de Mr de Ferrande qui se repliait sur elle-même, mal à l'aise par l'attitude de Marianne. Elle me paraissait d'une extrême bienveillance et j'appréciai sa vertu de ne pas intervenir à cet instant précis au risque de provoquer un autre esclandre.
- Détrompez-vous ma chère soeur, s'empressa de répondre Sigmund, je suis marié. Ceci et bel et bien vrai. Et je vois que ceci ne vous satisfait guère, ou du moins vous surprend. Mais il en a toujours été ainsi Marianne, votre coeur ne supporte point les bouleversements. Mais vous vous y habituerez bien vite à la longue.
- Non, mon frère, vous ..., vous vous trompez, vociféra Marianne, Je suis extrêmement fâchée, ne m'interrompez pas Sigmund, je vous prie, fâchée de ne pas avoir été prévenue et invitée aux noces de mon brillant frère.
-Si ce n'est que ça, reprit Sigmund, soyez, ma soeur, rassurée, nous n'avons prévenu personne. Nous nous aimons, nous nous sommes mariée au plus vite, un point c'est tout. Faut-il de grandes cérémonies pour rassurer les esprits d'une affection mutuelle? Non. Ainsi Marianne, taisez vous et ne me réprimandez pas.
-Mais nos parents, Sigmund, nos parents...
-Taisez-vous Marianne! Ceci est mon affaire et non la vôtre ou la leur. Je leur ai déjà expliqué...
    Je m'imaginais la réaction de Mr et Mme de Ferrande et je compris, d'une certaine mesure l'inquiétude que nourrissait Marianne à leur égard. Ce sont des gens très attachés aux valeurs, et qui tenaient une haute opinion d'eux-mêmes. Le fait de ne pas avoir été invité, ou été de leur partie consistait en outre d'une faute grave à leurs yeux. Mais je renonçai à poursuivre toute réflexion sur le sujet, je n'étais point concernée.
    Plus tard, quand Marianne et Sigmund de Ferrande eurent finis de s'expliquer, il fut question de s'enquérir de part et d'autre de la santé de la famille et des nouveaux événements. Je m'installai alors près de l'épouse de Sigmund de Ferrande, Simone.  Plus à l'aise que tout à l'heure, je décidai de l'y mettre complètement par une conversation discrète et chaleureuse. Je voulais d'autre part me renseigner davantage à son sujet.
- De quelle ville venez-vous, Madame?, demandai-je assez rapidement.
-De la Tour du Pin, près de Chambéry, répondit Simone de Ferrande
-De la Tour du Pin, c'est incroyable, je n'habite guère plus loin, près de Villefranche, à environ une  de miles de Chambéry. Je me présente, Inès de Crécy. Je suis la soeur d'Erwan, l'époux de Marianne.
- De Crécy, dites-vous? C'est étonnant, ce nom me dit quelque chose. Toutefois je ne connais ou du moins ne me rappelle personne de ce prénom réellement. Enfin, je connaissais quelqu'un qui avait un lien de parenté avec votre famille. Une fille d'a peu-près notre âge qui était une de mes amies quand je fréquentais la pension Denis Diderot à Chambéry. Mais je n'ai pas pu garder contact avec cette personne.
- Peut être connaissiez-vous alors ma cousine Rosalie de Rosyères qui étudia là bas?
- Mais c'est elle, justement, cette personne dont je vous parles. Quelle coïncidence!
    Ainsi nous commençâmes à parler de vous, de l'enfance en générale, de ses joies, ses nostalgies... Et comme le passé en rappelle toujours au présent qui lui même en appelle au futur, nous nous demandâmes nos projets prochains. Je lui appris alors que nous nous rendions à Paris et comptions y rester quatre mois environ. Elle m'apprit quant à elle, qu'avec son époux, ils recherchaient un endroit ou s'installer. Ainsi ils parcouraient les villes, allaient de pays en pays en quête d'un futur bonheur. Je lui souhaitai une réussite dans son entreprise qu'elle me rendit par le souhait d'un agréable séjour à Paris. Soudain ses yeux pétillèrent et elle me confia, excitée à l'idée de sa nouvelle pensée:
- Dites moi, chère Inès, que penseriez-vous si dés le moi de mai, après que nous eussions, avec mon époux visité les deux ou trois demeures qu'ils nous restent à découvrir, je lui proposai de nous rendre à Paris et y conviait ma chère amie, votre cousine Rosalie de Rosyères. Elle logerait en notre demeure et serait libre de ses mouvements. Nous ne lui imposerons aucune privation ou caprice quel qu'il soit comme l'on en rencontre de plus en plus de nos jours.
    A cet instant, étrangement, mon oeil glissa sur Marianne. Innocemment, inconsciemment, comme ça, je vous assure. Qu'en dîtes-vous? Vous nous rejoindriez à Paris! N'est-ce pas une formidable nouvelle? Vous seriez chaperonné par le couple de Ferrande qui est si sympathique. Vous auriez la plus charmante compagnie , Madame de Ferrande quand moi je supporterait l'horrible Marianne. Simone de Ferrande m'a fait part de son intention de vous écrire dés que possible à ce sujet. Cependant je ne serais pas étonnée que je la devance avec cette confidence. Cependant feignez de l'ignorer dés qu'elle vous aura envoyer une invitation formelle.
Ce serait formidable. Certes, il vous faudra attendre deux mois, mais deux mois ne sont rien quand l'on y pense. Je fus tellement emballée à cette idée quand elle m'en fit part que la curiosité de Marianne fut éveillée. Elle considérait d'un mauvais oeil cette amitié qui naissait entre ses deux belles soeurs. Elle pensait sans aucune doute que ma place devait être la sienne. Cependant ce n'est point en ignorant sa nouvelle parente et bavardant sans aucune pudeur avec Maryse F. Liggendon qu'elle y changerait quelque chose. Certainement, cela lui passera mais l'oeil jaloux de Marianne m'amuse. Son frère s'entendit à merveille avec Erwan. Ils discutèrent politique, affaire d'état... des choses qui m'intéresseraient en outre si je n'étais point une fille et que Frédéric F. Liggendon ne fus point un homme. Il essaya tant bien que mal d'amener leur sujet de conversation sur ses boutiques fétiches sans y parvenir. Erwan avait un allié.
   
    Sur ce ma chère Rosalie, je vais achever ces quelques lignes en vous promettant de vous rapporter la fin de notre séjour à Orléans, les visites prochaines du duc de Chativard, et le mystère nocturne de Maryse F.Liggendon. Inversement, rapportez moi les nouvelles de Houbois, la santé de mon oncle, ma tante, mes cousins et cousines, mes parents, grand -père émile, d'Agathe Laboursein, de Tanguy Bricquot et du comte de Montbistou... Et peut être pour finir de vos nouvels amours? ...

Affectueusement, Inès.

P.S: Que de noms au fond, mais que de joie! Comment tout cela se terminera t-il?

18 juillet 2008

séjour à Clairefontaine, comment occuper ses journées, soif d'aventures... par Rosalie

23 février 1824                                                                                                         Houbois

Très chère cousine,

Qu’il me plaît de recevoir vos lettres ! A chacune de vos nouvelles missives, je me sens toute excitée ; je suis curieuse et impatiente de connaître vos récentes aventures, certaines me font tellement rire ! En effet, combien de fois je souris en me rappelant la kleptomanie de Marianne ! Je vous avouerai que je n’avais jamais ouï une telle maladie ! Bien entendu, une maladie n’est jamais risible, mais le fait de voler une savonnette m’a paru d’une telle absurdité que j’ai, comme vous, du mal à réprimer mon rire. Je suis sincèrement navrée pour votre frère d’être tombée sur une pareille personne, mais il semble l’aimer profondément, alors je ne préfère pas faire de commentaire. Cependant, contrairement à Erwan, vous ne paraissez guère apprécier la nouvelle Mme de Crécy ! Il va de soi qu’elle est peu instruite et cultivée et plutôt simple d’esprit, mais vous vous en donnez à cœur joie dans vos lettres ! J’espère pour vous que Marianne ne tombera jamais dessus car sinon gare aux représailles ! Encore faudrait-il que la jeune femme comprenne un mot de ce que vous écrivez ! 

Quelle chance avez-vous d’être partie en voyage ! Voila maintenant XX jours que je suis rentrée de Clairefontaine, et, bien que je suis très attachée à Houbois, je n’ai qu’une obsession : y retourner ! En effet, vous savez à quel point j’aime voyager et découvrir de nouveaux horizons. Voilà pourquoi j’ai avidement lu votre description des rues et endroits que vous fréquentez à Châteauroux. Et je reconnais même ressentir une certaine jalousie envers vous. N’y voyez là rien de mal, sachez seulement que vous pouvez vous sentir heureuse de pouvoir ainsi visiter des lieux que j’aimerais tant voir moi-même. C’est pour cela que je vous oblige à me raconter dans les moindres détails tous vos déplacements, vos excursions et à me décrire fidèlement l’endroit où vous vous trouvez ! Je pourrai comme cela m’imaginer me trouver moi aussi là-bas. Dîtes-moi donc comment est cette auberge du Cerf Blanc, à quoi ressemblent l'église de St Martial et le quartier St Christophe.

J’espère de tout cœur que vous passerez un agréable séjour à Paris (même en compagnie de Marianne). Ecrivez-moi aussi souvent que vous le pouvez bien que je sais que vous aurez sans doute la tête ailleurs, certainement dans les salles somptueuses de quelques châteaux ou dans les vitrines des boutiques que j’ai entendu dire très coquettes. Peut-être ferez vous également de belles rencontres, je vous le souhaite. Mais attendez, où avais-je la tête, bien sûr que vous avez déjà lié un semblant d’amitié avec quelqu’un : Jonathan de Châtivard !  Quelle coïncidence (ou hasard) d’avoir rencontré le cousin du duc de Dytremore si loin de chez vous ! D’après ce que j’ai lu, vous paraissez fortement apprécié ce nouveau venu, même si les remarques lascives et lourdes de sous-entendus de votre frère semblent vous exaspérer. Comme vous, j’ai parfois l’impression qu’Erwan est resté enfant, qu’il est ingénu et dit tout simplement ce qui lui vient à l’esprit sans se soucier si ses propos seront les bienvenus ni si l’occasion permet de les dire. Vous rappelez la fois où, alors que nous étions à la messe dominicale, il a prétendu que le Christ n’était peut être qu’une pure invention ? L’effronté ne s’est même pas aperçu de la honte qui recouvrait nos visages, honte qui pourtant devait être bien visible puisque nous nous sommes tous mis à rougir. Cependant, je me demande parfois si justement Erwan ne ferait pas exprès de dire ces choses qui devraient rester secrètes : en effet, plus que de la naïveté et du manque du sens des convenances, c’est peut être qu’Erwan est simplement provocateur, aime se faire remarquer et choquer son entourage. Si tel est le cas, je dois dire qu’il réussit très bien ! Que pensez-vous de tout cela très chère Inès ? Vous faîtes-vous de votre frère la même idée que moi ?

Mais je me suis quelque peu laissée emportée, revenons alors au sujet précédent : le jeune duc de Châtivard à l’air d’être une personne tout à fait honnête, très affable et sociale. De plus, il paraît être un homme juste, loyal et  plein de bon sens puisqu’il tente de sauver son ami d’une fâcheuse histoire de jeu. J’espère que cette affaire se terminera bien. Si vous avez des nouvelles, faîtes m’en part je vous prie.

Mr de Châtivard aurait-il un don de double vue ? Ne riez pas, cousine, de cette plaisanterie que je viens d’écrire, car n’a-t-il pas réussi à scinder votre esprit ? N’a-t-il pas perçu, sans vous connaître, que votre maladresse chez les De Rostellot, n’était pas un manque de courtoisie et de politesse ? Bien entendu en vous voyant, beaucoup de personnes le devineraient mais j’aime à penser que ce jeune homme a quelque chose de spécial. D’ailleurs, vous concédez vous-même à dire que quelque chose vous trouble dans l’attitude de ce personnage. Avez-vous finalement découvert d’où venait cette appréhension ?  Dîtes m’en plus, car cela me laisse perplexe et me rend votre nouvel ami, si je puis dire ainsi, très intriguant. Car enfin, s’il a toutes les qualités, physiques comme psychiques, qu’est-ce donc qui vous dérange ?

Quant à cette pauvre Marianne, elle n’a malheureusement pas votre perspicacité et votre ouverture d’esprit pour juger et se contente de leur apparence physique ! C’est un triste constat de voir que votre frère a choisi pour épouse une demoiselle qui porte plus d’intérêt pour l’extérieur que pour l’intérieur. Même si je conviens que la beauté physique est un grand atout que Mère Nature n’a pas accordé à tout le monde (regardez Agathe Laboursein par exemple !), il va de soi, enfin, d’après moi, qu’il faille accordé un plus grand mérite aux vertus morales, ce que Marianne n’a pas l’air de comprendre. J’admets tout de même que cette péronnelle à au moins une qualité : elle a bon goût en ce qui concerne les hommes. Je l’ai déjà vu en compagnie de plusieurs messieurs pour le moins charmants, et Erwan fait également parti des plus beaux hommes que j’aie jamais vu jusqu’à aujourd’hui. Je veux donc bien vous croire lorsqu’elle, et vous-même, dîtes trouver le duc de Châtivard plutôt bien fait de sa personne.

Mais qu’en est-il de son cousin, Alexandre de Dytremore ? N’auriez-vous pas conçu pour lui une certaine attirance ? Certes, vous ne l’avez rencontré qu’une seule fois, (et dans quelles circonstances !) mais j’avais cru comprendre que quelque chose s’était passé ce jour là. Alors Inès, votre cœur balancerait-il entre les deux cousins ? Ce ne serait pas raisonnable, chère cousine, et il faudrait vite remédier à ce problème. Ecoutez ce que vous dit votre cœur et faîtes moi part de vos sentiments car vous savez qu’à une cousine, on peut tout dire, tout avouer sans avoir peur de se faire blâmer. Pour ma part, vous êtes ma plus sincère confidente, et j’espère de tout cœur que ceci est réciproque.

Un peu de nombrilisme ne fait de mal à personne, je vais maintenant parler de moi, et je pourrais par exemple vous conter mon séjour à Clairefontaine. La semaine que j’y ai passée à été formidable, riche en découvertes et en imprévus. Il a fait un temps magnifique et Juliette et moi étions souvent parties en promenade de quelques heures l’après-midi pour parcourir et découvrir le vaste domaine dont mon frère et elle s’étaient acquitté. Il y a de grands arbres de toutes sortes, de petits sentiers caillouteux, et une rivière d’eau fraîche où nous aimions tremper nos pieds et nous reposer au bord pour prendre une petite collation. L’intérieur de la maison équivaut en beauté à l’extérieur. La demeure est agréablement éclairée et meublée avec goût. Comme à mon arrivée, les nouveaux propriétaires n’étaient installés que depuis deux semaines, les meubles n’étaient pas encore tous arrivés et un matin Edouard et moi sommes allés en ville pour trouver de quoi alimenter le mobilier de la maison. Nous sommes ainsi revenus avec un tapis pelucheux couleur cappuccino, deux petites tables de chevet en marbre, un vase avec des motifs anciens et une table basse en verre. Cette excursion en ville m’a fortement plus d’autant plus qu’Edouard avait fortement insisté pour me faire cadeau d’une nouvelle tenue : une robe bordeaux à liserés bleu nuit. Je vais vous expliquer pourquoi il a décidé si généreusement de m’offrir ce présent.    

Je vous avais dit, dans ma lettre précédente, que j’avais rencontré le cousin de Juliette, le duc Victor de Velitis. Le jeune homme était apparu le mardi, et la sortie à la ville s’était faite le lendemain, le mercredi donc. Edouard m’avait donc gentiment proposé de m’acheter un nouvelle robe mais il ne m’avait pas dit pourquoi. Ce n’est qu’après avoir fait l’achat, qu’il me dit avec un sourire lumineux :

« Cette tenue vous ira parfaitement pour le pique-nique prévu pour demain.

-          Mais, répondis-je, pourquoi vouloir m’acheter un nouvel habit pour un simple pique-nique, mon frère ?   

-          Ce ne sera peut-être qu’un simple pique-nique mais il n’y aura pas de simples personnes, dit-il en cachant un sourire.

-          Edouard, que vous êtes énigmatique ! Exprimez-vous plus clairement je voue prie. Qui y’aura-t-il donc de si important à ce pique-nique, notre roi Charles X ?

-          Voyons, Rosalie, tout de même, je ne pense pas que le roi accepterait un pique-nique, même si c’était un pique-nique royal ! Non, non je pensais tout simplement à la personne dont nous avons récemment fait la connaissance…le duc Victor de Vélitis, par exemple ? 

-          Ah, je vois, répondis-je d’un air légèrement pincé, je comprends maintenant la cause de votre cadeau.

-          Chère Rosalie cette robe vous va à merveille et je vous l’aurais achetée même s’il n’était pas question de jeune homme… »

Je le crus à moitié, bien entendu. Nous avons continué à discuter et Edouard m’apprit donc que le jeune cousin de sa femme avait chaleureusement accepté de ce joindre à nous pour ce fameux repas à l’extérieur.

Et effectivement, le lendemain, au alentour de midi, Mr de Vélitis parut à Clairefontaine sobrement mais élégamment vêtu. Il avait apporté avec lui une tarte aux fraises que sa mère avait préparé pour l’occasion. Lui, Juliette, Edouard et moi-même nous sommes donc installés à l‘ombre d’un grand saule dans le domaine et avons entamé nos mets. Le déjeuné ainsi que l’après-midi se déroula très agréablement. Victor de Vélitis est tout à fait charmant : j’ai pu ici l’observer mieux qu’à notre première rencontre, et je dois dire que j’en suis toute émoustillée. Il est non seulement charismatique et séduisant mais il a aussi de l’esprit. Il nous a fait quelques bons mots d’esprit que je vous réciterais lorsque nous nous verrons.

Et ce qui me rend encore plus excitée, chère cousine, c’est qu’il m’a invitée au bal ! En effet, à un certain moment, la conversation s’est portée sur ces soirées de danses, et lorsque j’ai dit en soupirant que cela faisait longtemps que je n’avais point jouit de cette distraction, il m’a proposé de l’accompagner au bal que donnait son meilleur ami, un certain Paul du Montellier, dans un mois, en mars donc. Croyez-moi, je me suis empressée de dire oui, pour deux principales raisons comme vous l’aurez deviné : profiter de la présence de Victor, et passer du bon temps car depuis que je dois surveiller Amanda, je n’ai pas vraiment le loisir de côtoyer la société.

La suite de la semaine à Clairefontaine s’est déroulée comme dans un rêve, et lorsque qu’il a fallut retourner à Houbois, je ne me sentais pas prête à partir. Mais je devais malgré tout rentrer à la maison car j’avais promis à papa et maman de ne pas les laisser seuls trop longtemps. En effet, lorsque j’étais partie, la pauvre Eléonore était encore un peu malade (un mois déjà), et je m’inquiétais toujours pour elle. Je savais que mes parents faisaient tout pour la rétablir et j’étais aussi au courant que Emmanuel de Laryn, son jeune prétendant, lui a rendu visite. Il n’empêche que je souhaitais vite retrouver ma sœur pour connaître son état.

Heureusement, quand je suis arrivée à Houbois, j’ai appris avec soulagement qu’Eléonore était tout à fait remise sur pied et qu’elle n’avait qu’une seule idée en tête : participer à un autre bal où naturellement elle aurait confectionner sa robe elle-même et auquel évidemment Emmanuel de Laryn serait présent ! Me voilà donc rassurée. J’ai également, comme vous me l’aviez suggéré, demandé à votre père si le duc de Laryn du domaine de Daumosse n’avait pas par hasard un fils qui se prénommerait Emmanuel. Et en effet, cousine, vous aviez vu juste car il s’avère qu’Emmanuel est bel et bien le descendant du duc. J’espère donc que ma sœur, maintenant sur pied, aura l’immense privilège d’être invitée par le jeune duc sur son domaine et ainsi faire connaissance avec son père.

Depuis que je suis revenue ici, je partage mon temps entre éduquer Amanda, lire, écrire, et rêvasser.

En ce qui concerne ma jeune sœur, je pense que je réussi de mieux en mieux à l’assagir et à lui apprendre les bonnes manières. Je ne sais si c’est parce qu’elle aura 14 ans la semaine prochaine, mais elle semble devenir plus mûre. Le fait de voir son aînée si bien se comporter lui donne peut-être envie de lui ressembler. Mais l’esprit d’Amanda reste si complexe et ses idées si puériles que je ne sais pas toujours ce qu’elle veut, ce qu’elle désire ; et peut-être ne le sait-elle pas non plus.

Pour ce qui est de la lecture, vous savez à quel point ma passion pour ce domaine est au-dessus de tout. Coincée à Houbois, ayant peu de divertissement, les livres me procurent une véritable source de plaisir et une certaine échappatoire à cet enfermement. Car oui, depuis un certain temps, à Houbois, j’ai l’impression de ne plus avoir ma place, j’ai envie de nouveaux horizons, de découvertes, d’aventures ! Je trouve ma vie parfois ennuyeuse et fade. Ici, le temps me paraît parfois suspendu et une seconde semble une éternité. Bien sûr je n’en ai soufflé mot à mes parents car ils seraient trop malheureux d’apprendre que leur fille rêve, pour ainsi dire, de partir. Mon but n’est certainement pas de les éprouver. Voilà pourquoi je suis confrontée à un certain dilemme : souffrir moi-même de l’oppression qu’exerce sur moi Houbois ou faire souffrir mes parents. Ni l’un ni l’autre ne me semblent acceptables, je me trouve donc dans une impasse et confrontée à une situation difficile. J’espère cependant que mes parents ne s’apercevront pas de mon malaise, ils ont déjà assez de soucis avec leurs autres enfants. Je prends la résolution de me débrouiller moi-même et de trouver par mes propres moyens une solution qui soit profitable et pour eux et pour moi. Avez-vous une idée de la façon dont je pourrais m’y prendre ? Conseillez moi, je vous prie, je suis sure que votre aide et votre soutien me seront très utiles et bénéfiques.   

Par conséquent, pour pallier ce manque de péripéties, je m’évade à travers tous les genres de texte : la poésie avec Beaudelaire, le théâtre avec Beaumarchais (La trilogie de Figaro) ou avec mon favori Molière, mais aussi Racine (j’admire particulièrement Phèdre) ;  le roman avec

La Princesse

de Clèves de Mme de Lafayette mais également le genre épistolaire avec Les Lettres de Mme de Sévigné. Mon imagination est débordante et ma créativité sans borne. Je m’imagine moi aussi à la place de ces personnages qui vivent milles histoires. J’ai d’ailleurs moi-même écrit quelques petites nouvelles et deux ou trois poèmes dont je vous ferais part. Je ne les ai fait encore lire à personne par pudeur sans doute, mais je pense qu’à vous, je pourrais sans réserve les montrer. Je sais par votre propre goût de la lecture et de l’écriture que vous apprécierez de les étudier et de me dire votre avis dessus.

J’ai eu dernièrement des nouvelles de Papy Emile. Notre vieux grand père grincheux se fourre toujours dans des affaires louches dont tout le village est vite au courant. Il y a quelques jours de cela, alors qu’il se promenait dans le village, seul, comme à son habitude, il a aperçu, posé sur le rebord d’une fenêtre de l’auberge Des Trois Cornes, un joli pot de fleurs, des géraniums si je me souviens bien. Et alors, sans aucun scrupule, il s’est avancé et a cueilli –non, excusez-moi, je devrais plutôt dire « arracher »- ces belles plantes. L’hôtesse de l’auberge, l’ayant vu depuis sa cuisine, s’est empressée de courir vers lui et de le réprimander sévèrement. D’après elle Mr De Crécy est « un vieux fou qui n’a aucun respect pour la nature ni pour autre chose d’ailleurs » et qu’il « n’a plus toute sa tête ». Papy s’est alors énervé et lui a presque fait avaler ses géraniums !  Bien entendu, cette petite altercation est rapidement arrivée aux oreilles de Mmes Routte et Doré qui se sont dépêchées de la raconter à qui voulait bien l’entendre. Quelles commères ces deux là ! Sans elles, peut-être que la réputation de papy ne serait pas si honteuse. Quoiqu’il en soit, il ne faudrait plus laisser papy se rendre seul en ville ou n’importe où ailleurs sans être accompagné. Sa violence me fait honte et m’effraie. D’où peut venir une telle brutalité, une telle grossièreté ? Il faut vraiment et rapidement faire quelque chose, car si ses faits sont amusants à vos yeux, ils restent de tout de même graves et inquiétants.

Concernant Agathe Laboursein, j’ai appris, comme vous l’aviez dit, qu’elle devait se rendre à Genève pour le week-end pour rejoindre le comte. Cependant, elle n’a voulu y aller car durant ce même week-end avait lieu le fameux bal au domaine de Spirée. La jeune péronnelle a donc  annulé son voyage simplement parce ce qu’elle préférait aller danser ! On dirait bien qu’elle ne se soucie guère plus du comte que celui ce ne se préoccupe d’elle. Ces deux personnages ne devaient pas être faits pour aller ensemble mais je pense cependant que vous avez raison lorsque vous parlez d’une possible idylle entre elle et Tanguy Briquot. Ces deux là ont le même esprit, ils sont effrontés, insouciants, peu scrupuleux, frivoles. Nous verrons bien où cela les mènera mais je ne sais à l‘instant s’il se sont revus depuis le bal. 

            Avec la hâte de vous revoir très bientôt,

                                                           Affectueusement, Rosalie.

PS : ci-joint un exemplaire de Candide, de Voltaire, que je viens de terminer et que je vous prête. Lisez-le, c’est une véritable perle !

16 juillet 2008

arrivée à châteauroux, vol, rencontre avec le duc Jonathan de châtivard... par Inès

15 février 1824,
Auberge du Cerf blanc, Châteauroux

Chère Rosalie,

Je suis ravie de vous apprendre que notre départ du domaine de Bouvreuil pour Paris (avec la promesse, malheureusement, de rendre visite auparavant aux Fretty-Liggendon pour faire plaisir à la capricieuse Marianne) s'est enfin effectué. Ceci, je vous l'avoue volontiers, ne fut pas sans encombres. Dieu soit loué, pourtant, voici environ deux bonnes semaines que nous voilà enfin partis. La route est longue et éprouvante sans toutefois nous apporter de trop grands désagréments. Nous voyageons accompagnés de deux laquais, une bonne et un cocher. Chaque jour, Erwan veille à ce que Marianne et moi puissions nous reposer durants quelques instants dans un village de passage. Comment vous exprimer cette joie qui m'assaille alors qu'il y a tant de choses que je me promets de vous décrire dans cette lettre? Par ou commencer, par ou s'arrêter? Que vous décrire: les paysages, les rencontres, les conditions de notre voyage? Ne vous étonnez donc plus de la longueur de cette missive que vous constaterez par la suite. Je me propose d'être bavarde.

Cependant, je ne saurais me montrer raisonnable si je ne vous rapportais point les anecdotes de notre expédition par leur enchaînement précis et veillant à les tenir dans un ordre chronologique. Je ne pourrais tolérer avoir éveillé en vous le sentiment d'une trop grande dispersion et d'une négligence de ma part quant à la narration de ces événements derniers.
Auparavant, toutefois, je souhaiterais vous accorder de chaleureux remerciements pour m'avoir tenue informée des nouvelles de Houbois, et plus exactement, du bal d'Eléonore. À la fin de la lecture de votre dernière lettre, je ne pus m'empêcher de la lire une seconde fois pour me rendre compte de la réussite de son entrée dans le monde. Nous n'étions point si dégourdies si je me souviens bien, ma cousine. Je souhaite de tout coeur qu'il en soit toujours ainsi quant à ses prochaines sorties et ses prochains bals. Je remarque que vous évoquer un certain Emmanuel de Laryn, en vue duquel vous supposez une possible inclination de votre soeur à l'égard de ce jeune homme. Je crois me rappeler que mon père, Théodore, évoqua un jour un certain M. de Laryn, duc d'un domaine prospère, Le Daumosse. Peut-être que votre Emmanuel est-il le fils de ce duc. Renseignez-vous auprès de mon père, votre oncle afin d'obtenir de plus amples détails. Il serait fort agréable pour ma cousine, votre soeur de le rencontrer à nouveau et de partager sa société avec votre famille. J'espère néanmoins comme vous, que cette connaissance ne sera point défavorable et facheuse à la réputation de votre soeur. Elle mérite la reconnaissance et l'affection de tout ceux qui l'entourent. Veuillez lui agréer mes compliments pour sa robe, qui d'après la description que vous m'en faîtes m'a paru extrêmement belle à imaginer. Associer une soie bordeaux à des broderies de fleur noire, quel goût exquis qui témoigne d'une réelle élégance! Les hôtes du Domaine de Spirée devaient être ravis, je pense, de compter parmi leurs invités un exemple de candeur et une créature aussi jolie. Je m'excuse, pourtant, que vous n'eussiez pas pu assisté au bal. Il s'agit là d'une grande infortune pour vous qui vous omet le plaisir de former de nouvelles rencontres et celui de la danse. Mais, vous pensez bien que d'autres bals se présenteront bientôt à vous de nouveau. Et alors vous danserez encore, et charmerez qui bon vous semble; peut-être ce M. de Vélitis, cousin de votre belle-soeur Juliette. Pardonnerez-moi cette vilaine taquinerie qui exprime, en réalité, mon plaisir de vous savoir installé à Clairefontaine, chez votre frère. Que cela est amusant que nous puissions toutes deux profiter d'un nouvel endroit ou loger et découvrir! Je me représente cette perspective nouvelle, parallèle entre vous et moi, comme une possible opportunité d'envisager notre avenir et d'éveiller notre conscience au monde extérieur. Qu'en est-il pour vous de cette idée soudaine? J'aimerai que vous m'exposiez votre opinion la dessus. Mais pourriez-vous me fournir de plus grands détails sur votre nouvelle installation, l'endroit et le ménage de mes cousins, je vous prie? Il me tarde de pouvoir bientôt leur rendre visite. Cependant, je ne pourrais y compter que dans deux mois environ. Mon frère me reprocherait d'écourter mon voyage et de le priver de ma compagnie, quoique je me doutes bien qu'elle soit au fond inutilement indispensable; surtout à Marianne. Je vous tiendrai donc au courant de mon projet de vous rendre visite là bas.
Pour en revenir au bal d'Eléonore, je vous fait part de ma surprise d'apprendre qu'elle y vit Agathe Laboursein, sans la compagnie, de surcroît du Comte de Montbistou. Dans un premier temps, je ne saurais vous dire ce que j'en pense: de l'incompréhension, de la stupeur... Je la croyais en visite à Genève, chez le comte en compagnie de quelque uns de leurs amis communs. Ainsi vous me surprenez lorsque vous me rapportés les propos que se sont échangés cette petite insouciante et ce Tangy Briquot qu'a entendu votre soeur. Que vont penser sa famille et ses proches de son attitude folle et libérée lors de ce bal, de simples bourgeois, certes mais bienséants? Bien qu'il fut inconcevable une union entre elle et le comte , qu'il fut s'agit là d'une mésalliance, je finis par la considérer, ou du moins, par la croire engagée, en dépit des convenances, au comte! Je ne puis imaginer qu'elle ait eut la fantaisie de flirter aussi singulièrement que vous me le faîtes comprendre avec cet autre jeune homme avec pareille pensée. Qu'en dîtes-vous? Eclairez moi sur le sujet. Tachez, je vous prie, d'en apprendre davantage et de me tenir au courant de cette situation incommodante; incommodante non pas pour le fait de sa situation sociale mais pour la précarité de sa constance. Toutefois, comme je commence à retrouver assez d'esprit pour me risquer à une moquerie, je fus d'accord pour dire, s'il n'eut été nullement question du comte, que ce Tanguy et Agathe furent destinés l'un à l'autre. Car si j'en crois leurs paroles, il devait épousée une certaine Catherine Tricot, lui étant du nom de Briquot. Imaginez un Briquot et une Tricot ensemble! Ce serait impensable. Je souris à l'idée d'un couple aussi assorti: l'un faisant oeuvre de bricoler, et l'autre travaillant à son tricot. Quelle pensée amusante! Certainement, très certainement même, je reconnais mon manque de tenue dans cette affaire, mais lassez-vous d'imaginer un pareil spectacle! Cela en devient impossible tant c'est absurde!

Je continuerai cette lettre en vous racontant désormais mon départ de Bouvreuil. C'était il y a deux semaines comme je vous l'ai dit précédemment. Nous quittions le domaine tôt dans la matinée après le petit déjeuner. Mais je dois vous rapporter de ce départ une petite histoire des plus drôles dont Marianne est l'auteur. A peine je venais de monter dans la voiture que Marianne s'empressait de me suivre. Elle ne prit pas le soin de retrousser sa robe à crinoline beige et bleu et ce qui devait se produire arriva. Elle se prit le pied dans l'un des plis que formait sa tunique et bondit tête la première dans la voiture. Vous auriez vu son visage ma chère Rosalie que vous ne pûtes retenir un franc sourire. Mais le plus drôle dans l'histoire, ce n'est non pas ses cris hystériques, ses cheveux désordonnés, sa tenue sale mais un curieux objet qui s'était échappé de Marianne dans sa chute et qui trônait maintenant sur un siège. Devinez-vous ce dont il s'agit? Oh non, vous ne le pourriez pas et c'est ce qui m'amuse le plus, tant cela est invraisemblable et risible. L'objet n'était rien d'autre qu'une petite savonnette de lavande soigneusement enrubanné et portant les initiales S. C. Erwan, qui étonné de cette trouvaille porta son regard sur son épouse, lui demanda
"- Ma chère Marianne, voilà bien une étrange chose que de se promener avec une savonnette sur soi. Fallut-il votre chute involontaire pour nous rendre compte de cette bizarrerie?
-Erwan, répondit-elle comme une gourde, Vous ne sauriez vous attarder sur un tel détail. Mon cher, qu'y a t-il de mal à vouloir être parfumé? Oh, reprit-elle en reprenant de l'assurance, et ne pourriez-vous pas m'aider plutôt que de rechigner à propos de broutille?
- Marianne, vous parlez de broutille? Comment suis-je sensé réagir, moi? Ne croyez-vous point que je sois en mesure de demander quelques explications? Tout d'abord à qui sont ces initiales? Ce ne sont certes pas les vôtres. A moins que vous ne soyez si étourdie et sotte pour l'avoir reconnu comme vôtre. Justifiez-vous!
- Mais, oh non, Inès pourra vous le dire, elle n'est pas à moi. Je ne sais... je ne sais même pas de quoi nous parlons au juste...
- Ne commencez pas Marianne. Cela en est assez de vos mensonges éhontés. Reconnaissez votre tort! Il s'agit peut être d'une récompense, d'un cadeau? Qui vous l'a offerte? Ne me dîtes pas que ces initiales sont celles d'un amant? Quelle image donneriez-vous de moi alors?! Non, non, je ne crois qu'il s'agit de ce que je crois...non, je ne peux penser que vous avez....
Et oui, ma chère Rosalie, qu'elle avait volé cette savonnette à Bouvreuil. Les initiales S.C si l'on y pense, sont en fait ceux de ma mère: Solène de Crécy.
J'appris alors que ce n'était pas la première fois que ma belle-soeur se livrait à ce genre d'investigation. Selon les médecins, Marianne était atteint d'un mal incurable qui la poussait à agir comme tel. Ce n'était pas physique, cela se passait dans l'esprit, disaient-ils. Cela résulte d'un manque de confiance en soi qui pousse le malade à réagir: à voler. Cela se nommerait la kleptomanie. Pensez-vous comme je ne pus réprimer un éclat de rire en apprenant cela. Surtout qu'elle m'avait pris en compte pour reconnaître son innocence dans l'affaire! Toutefois, Erwan ne souhaite pas que la nouvelle de la maladie de Marianne soit ébruité. Je vous accorde donc ma confiance pour ne point la divulguer trop aisément. Aucun de nous ne devine la manière dont elle s'y est prise pour commettre le vol. Mais comme nous ne pouvions plus encore nous retarder, nous partîmes sans poursuivre l'affaire. Mais je dois dire qu'il fut bien difficile de voyager en compagnie de Marianne sans ne pas résister à l'envie de rire quand nos yeux se croisaient.
Nous voyageâmes ainsi près d'une semaine en traversant Villefranche, Roanne, Montluçon. Nous ne prîmes pas le temps de réellement visiter les lieux. Mon frère tenait pour objectif de s'arrêter quatre ou cinq jour à Châteauroux. Nous arrivâmes donc dans le village le jeudi après midi de la deuxième semaine. Nous nous rendîmes à l'auberge du Cerf Blanc, ou nous nous préparâmes pour le diner.
Cependant, comme j'eus terminé ma toilette avant ma belle soeur et que mon frère était en train de s'assurer de l'état des chevaux et du logis, j'en profitai pour me promener dans la ville. Il paraît que l'Eglise St Martial était à tout prix un endroit à visité, que le quartier St Christophe attirait de nombreuses gens, que le château de Raoul était d'une beauté incontestable, cependant, je me promenai tout simplement dans les rues à proximité. Le temps me manquait mais je me promis de visiter la plupart des lieux les jours suivants notre arrivée. Au fur et à mesure que je me promenais, j'oubliai l'heure du souper. Les allées m'enchantaient par leur calme et leur charme. Des enfants jouaient et criaient, certains couraient, des jeunes filles élégantes se délectaient devant des vitrines de rubans et dentelles, des mères surveillaient leur progéniture, inquiète ou bavarde, des jeunes hommes étaient assis à la table d'un café, lisant le journal ou traitant de principes politiques ou de leur voiture... Et malgré le froid qui réduisait l'étendue de ma vue, je constatais des merveilles. Soudain, alors que je continuais ma marche, je remarquai un bâtiment agréable et je me heurtai à un jeune homme. Je m'excusai de ma maladresse et il m'apprit qu'il était Jonathan de Châtivard. Ce nom ne vous rappelle t-il rien? Il avait environ entre la vingtaine et la trentaine. Je lui demandai donc s'il fut possible qu'il fut le fils ou un parent de la duchesse Justine de Châtivard. Il me répondit par l'affirmation affectant de sourire plus qu'il n'était permis et me dit exactement qu'il était son héritier. Cet inconnu était le cousin du duc Alexandre de Dytremore et le fils de la dame auquel j'avais, rappelez-vous, si peu montré de politesse! Je me sentis mal à l'aise à ce souvenir.
-"Mais comment se fait-il que vous connaissiez ma mère?, me demanda M de Châtivard, intrigué.
- En réalité, je... je... j'ai rencontré votre mère à un bal donné en l'honneur d'Alyssa de Rostellot. J'y ai par la même occasion fait la connaissance de votre cousin, Alexandre de Dytremore.
- Ah, il me semble me rappelé de cet événement, en effet. Je ne pus m'y rendre par souci d'allégeance à mon père. Je me trouvais à Lyon pour y traiter des affaires commerciales. L'industrie et le commerce sont les moteurs de notre siècle mademoiselle. Mais je ne crois pas savoir qu'elle m'ait parler de vous parmi les invités du bal.
- Je m'appelle Inès de Crécy. Votre mère et votre cousin étaient mes voisins de tablée lors du repas...
Je lui appris alors ma conduite envers ses proches et lui pria de leur transmettre mes excuses et mes sincères salutations. Alors que nous poursuivions notre marche en discutant, il s'arrêta et me regarda mi-sérieux, mi-amusé. Il me dit qu'il était nullement besoin de m'excuser et qu'il aurait s'agit d'une méprise entre ma personne et les siens. Il ne pouvait avoir été question d'une indélicatesse. Je lui demandai pourquoi et comment pouvait-il raisonner ainsi ne me connaissant point. Il riposta qu'il en était persuadé et qu'il était impossible d'en être autrement. Je souris. Voici une personne qui pour une fois considérait la spontanéité de mon caractère, quoique sans le connaître, comme une qualité et non un inconvénient. Je l'autorisai donc à m'accompagner dans ma promenade. Il est si plaisant, je le reconnais d'être fier de son ego par la flatterie et le respect du prochain, quand bien même ceux-ci sont immérités. Quand il prit connaissance de l'endroit ou je logeais, il offrit de m'y raccompagner. J'acceptai. Arrivés à l'auberge du Cerf-Blanc, je l'invitai à entrer pour le présenter à mon frère et son épouse. Il entra. Inquiets, du moins pour l'un, Erwan et Marianne m'attendaient afin de pouvoir dîner. Je leur présentai Jonathan de Châtivard. Mon frère insista pour qu'il se joignit à nous disant qu'il avait en horreur les tables mal assorties. "Nous sommes trois, il nous faut une quatrième personne Monsieur. Je préférerais que celle-ci fut vous". Sur cette parole, Erwan me lança un regard significatif que je pris soin de ne pas relever. Qu'allait-il encore s'imaginer? Marianne le trouvait charmant et agréable (de sa personne bien sûr, non de l'esprit). Marianne est trop superficielle pour juger d'une qualité spirituelle, l'effort lui en coûte déjà lorsqu'elle choisit de penser à l'harmonie de son service de table alors de là à juger un caractère! Toutefois, effectivement, le duc n'était pas laid. Il n'était pas aussi grand que son cousin, il semblait plus bavard et possédait un charme que l'on ne pouvait renier. C'était dans sa façon de vous regarder. On aurait trouver dans ses prunelles une substance inconnue qui rongerait la vue de celui qui croise son regard.
Il nous apprit qu'il était comme nous de passage à Châteauroux et qu'il comptait se rendre à Tours, dans le nord de l'Indre afin de porter secours à l'un de ses amis en démêlé avec la justice.
- "Certaines personnes tiennent Geoffroy de Monsartre pour un escrocs. Certes, mon ami est joueur, mais pour rien au monde, il ne prendrait goût à la corruption et à la malhonnêteté quand bien même celle-ci le séduirait.
-Nous sommes d'accord sur un principe: la justice. J'espère de tout coeur que votre affaire et votre ami trouveront la félicité, intervient mon frère. En ce qui nous concerne, nous allons encore rester quelques jours à Châteauroux pour visiter et nous reposer de notre voyage. Nous projetons de nous rendre à Paris.
-Paris, s'exclama le duc, Quelle merveille! Paris pleine de joie et de rebondissements, Paris, ville du coeur de France. Je vous envie mon bon ami. J'espère que vous trouverez en la capitale, un grand plaisir.
Nous continuâmes ainsi donc, le reste de la soirée à discuter avec animation. Le lendemain, Erwan, pressée par Marianne invita de nouveau le Duc à se joindre parmi nous sous prétexte, disait-il, de nous servir de guide à Châteauroux. Il faut être à la hauteur de savoir tenir un groupe, disait-il, jetant un regard à M. de Châtivard et le reportant sur moi, quand l'on veut distraire et plaire. Il désirait justement savoir si ce monsieur avait déjà plu et si parmi ses nombreuses conquêtes, l'une avait tout particulièrement attiré son attention. Je regardai mon frère avec obstination et aigreur. Allait-il se préoccuper encore longtemps des affaires d'autrui? Ma chère Rosalie, vous en conviendrez combien en de certaines circonstances Erwan peut être agaçant et juvénile. Le duc, qui ne comprit sans doute pas grand chose à nos regards échangés et qui se plaisait à extraire de Marianne des mots bien tournés, des compliments en quelque sorte, répondit seulement par la négative. Personne ne l'eut suffisamment troublé ou ému pour mettre fin à une solitude libre et combien divertissante. Je pris le parti d'admirer son point de vue. Un être n'a besoin de personne se sachant heureux entre ceux qui l'entourent et assez fort de caractère pour se convaincre de cela.
Nous visitâmes donc l'église de St Martial et le quartier st Christophe. Cependant, nous ne sommes pas encore, à l'instant ou je vous écris allez voir le château de Raoul. Hier, M. de Chativard nous fit encore le plaisir de se joindre à nous. Erwan l'appréciant de plus en plus, lui a offert de nous rendre à visite à Paris dans les prochaines semaines à venir s'il venait à y retourner.
J'en serai ravie. Le duc me semble d'une excellente compagnie. Il a un bon jugement et comme vous l'avez remarqué, il semble fort dévoué à ses amis. Cependant, il y a un je ne sais quelque chose que je ne m'explique pas dans sa conduite. Mais cela est si peu important que je ne puis y attacher une quelconque valeur. J'aimerai toutefois, s'il venait à s'y rendre, qu'il soit accompagné de sa mère et de son cousin, pour leur présenter de vive voix mes respects. Il me plairait de parler à son cousin Alexandre de Dytremore. Peut être qu'en le connaissant, pourrai-je apprendre de cette personne l'explication de ce malaise que me vaut le caractère de M. Jonathan de Châtivard. Sur ces derniers mots, j'entend Marianne qui vient d'entrer dans ma chambre. Je pense qu'elle va encore se plaindre du service des domestiques et me prier de choisir une autre toilette avant de paraître au déjeuner. Ainsi, ma chère cousine, je vous laisse sur ce bref récit qui j'espère vous satisfera.
Je vous prie d'adresser à mes chers cousins, mes salutations les plus sincères et je vous recommande encore de chercher à en apprendre plus sur Agathe Laboursein. Je vous remercie pour cette requête et vous envoie ma bénédiction.
Votre cousine très affectionnée, Inès de Crécy.

P. S: Marianne est véritablement insupportable.

13 février 2008

nouveau lieu, nouvelles rencontres, récit du bal...par Rosalie

20 janvier 1824                                                                                             Clairefontaine

Chère cousine,

Il me semble que ce n’est pas la peine de vous dire que je reçois avec plaisir votre lettre. Avant que je ne commence à partir dans les divagations croustillantes, passionnantes mais futiles, qui vont composées cette lettre, je tiens à vous rassurer que notre laquais qui avait parcouru le trajet Houbois - Bouvreuil pour vous apporter ma précédente missive se porte bien. Il n’a eu qu’un petit rhume et s’est très vite rétabli.

Je commencerai par vous dire qu’Edouard nage dans le bonheur, un bonheur qu’il partage naturellement avec sa compagne Juliette. Je vous avais dit dans ma lettre précédente qu’ils n’avaient pas encore de petit nid douillet à eux, mais que cela ne saurait tarder. Et effectivement, ils ont acquis il y a une quinzaine de jours, un joli domaine, appelé Clairefontaine, très coquet où s’étendent plusieurs hectares d’une pelouse bien verte et fraîche. Je ne pense pas que vous aurez le temps de le visiter avant votre départ pour Paris, mais je suis certaine qu’à votre retour, vous nous ferez l’honneur de passer quelques jours en notre compagnie. Vous verrez, vous vous y sentirez très bien. Je m’y sens d’ailleurs moi-même comme chez moi. Edouard et Juliette m’ont très généreusement invitée à passer la semaine chez eux, et c’est donc de là que je vous écris. Ayant emménagés il y a peu de temps, les jeunes époux reçoivent beaucoup de visites de félicitations. Et je vous avouerai, Inès, qu’il y en a eu une qui a particulièrement retint mon attention. En effet, hier, alors que nous étions attablés pour le déjeuner, le domestique vint nous avertir qu’une personne était arrivée. Déconcertés et quelque peu irrités par cette intrusion qui nous ferait différer notre repas, nous acceptâmes tout de même de laisser entrer cet « invité » non désiré. La porte s’ouvrit alors sur un jeune homme d’environ vingt cinq ans, portant des bottes de cavalier et souriant. Juliette poussa alors un cri de joie et lui sauta au cou. L’inconnu fit de même. Enfin, elle se retourna vers Edouard et moi, étonnés, et nous dit :

«  Je vous présente mon cousin, le duc Victor de Velitis. J’avais oublié qu’il devait nous rendre visite. Oh, mon cher cousin, pardonnez cet accueil, je m’excuse de vous recevoir ainsi.

- N’y pensez plus, chère cousine, vous savez que j’aime beaucoup vos accueils impromptus, dit il en lui faisant un clin d’œil. » Il nous regarda alors, Edouard et moi, avec un large sourire, et nous salua. Juliette le fit alors prendre place parmi nous et le pria de partager le déjeuner en notre compagnie. Il accepta avec joie, disant que le voyage lui avait ouvert l’appétit.

Ce fut alors un très agréable moment de passé. Le duc de Velitis s’exprimait très bien, avec une aisance surprenante. Il avait une voix très suave, un air désinvolte, et une lueur de malice qui passait quelques fois dans ses yeux. Il nous apprit qu’il était le cousin du côté paternel de Juliette, et qu’il vivait chez ses parents, à quelques lieues d’ici, au domaine des Saintes- Maries. Malheureusement, il n’avait pu être présent au mariage de mon frère et sa cousine car il avait fait quelques temps plus tôt une douloureuse chute à cheval qui l’avait contraint de garder le lit sans bouger. Il nous parla encore de beaucoup de choses, me demanda qui j’étais et me dit que j’avais beaucoup de chance d’avoir Juliette pour belle sœur car c’était une personne extraordinaire.

Lorsqu’il prit congé, il nous promit de revenir plus tard en espérant que je serai toujours là. Cette phrase me fit plaisir car je trouvais ce duc fort sympathique, et ses mots m’envoûtaient.

Je suis donc aujourd’hui là à vous relater les faits, et bien qu’il y ait plus de 24h de passer depuis qu’ils soient arrivés, je suis toujours aussi pleine de joie à me les remémorer.   

           

Cependant, un événement est venu assombrir ce beau tableau : j’ai appris par courrier de Houbois qu’Eléonore est souffrante depuis quelques jours et ne mange presque rien. Sa maladie est sans nul doute liée au froid menaçant de cette saison, il n’en demeure pas moins que mes parents soient inquiets. Ils ont fait venir le docteur il y a 2 jours, il lui a prescrit quelques médicaments qui pour l’instant ne semblent pas faire effet, ce qui me préoccupe fort. Mais je sais que grâce aux soins prodigués, et aux breuvages concoctés par maman, ma sœur se remettra vite sur pied. Eléonore est une fille qui paraît fragile en apparence, mais qui, au fond d’elle-même,  regorge d’une vivacité et d’une vitalité prononcées.

Mais laissons là ces inquiétudes, et laissez moi vous raconter, comme vous devez l’attendre avec impatience, la soirée de bal de ma jeune sœur affectionnée, pour laquelle nous avons travaillé dur afin qu’elle soit fin prête le jour arrêté. Eléonore a appris très vite et fait d’énormes progrès en peu de temps. Elle est visiblement moins introvertie qu’il y a 3 mois et ses pieds, qui je vous l’avais dit précédemment s’emmêlaient quand elle dansait, se sont par miracle démêlés ! Elle n’avait donc pas de raison d’avoir peur mais au moment de partir, la pauvre tremblait. Elle m’a rassurée en me disant que c’était à cause du froid, mais la connaissant de nature anxieuse, je sais que le froid n’y était pas pour grand chose.

Je ne vous en avais pas reparlé depuis, sans doute avais je oublié, mais Eléonore a cousu sa robe elle-même, comme elle en avait décidé ! Je me sens quelque peu honteuse que nous lui avions démonté ses espoirs, il y a quelque temps ; mais à force de persévérance, de travail et d’ambition, elle nous a prouvé, pour notre plus grande fierté, qu’elle était capable d’accomplir ses rêves. Ah ! Ma chère Inès, si vous aviez vu ses yeux briller de plaisir quand nous l’avons félicité pour son ouvrage ! Cela ma beaucoup touché, j’en garderai un merveilleux souvenir.

En ce qui concerne sa parure, celle-ci, quoique sobre, était d’une grande magnificence : Eléonore s’était conçu une robe en crêpe de soie bordeaux, à manches longues, dont la poitrine était brodée de fleurs noires et la taille ceinte par un large ruban couleur vermeil. Le tissu souple tombait près du corps, soulignant sa minceur et son naturel. De plus, elle portait de somptueuses perles aux oreilles (que maman lui avait prêtées), ce qui ajoutait une touche de subtile élégance.

Les propos que je vais vous citer maintenant sont ceux que m’ont rapportés fidèlement ma sœur et ma mère, car je n’ai pas pu assister au bal, devant veiller et surveiller Amanda. Eléonore, arrivée donc au domaine de Spirée, lieu du bal, sentant les regards peser sur elle, fut convaincue qu’elle était mal coiffée et que sa robe la rendait ridicule. Modeste, n’ayant aucune conscience de sa beauté et de l’effet qu’elle produisait, elle ne trouvait que cette explication aux coups d’œil admiratifs des messieurs et inquisiteurs des dames. La sensation d’être inférieure aux autres dura jusqu’à ce qu’un jeune duc, Emmanuel de Laryn l’invita pour sa première danse. Tremblant de la tête aux pieds, elle ne put répondre ni bouger d’un pas et c’est ma chère mère qui ut la pousser au bras de cet homme. Heureusement pour Eléonore tout se passa pour le mieux, ma mère m’a dit qu’elle et son partenaire se mouvait avec une telle grâce et une telle aisance, que certains autres couples de danseurs s’arrêtèrent quelques instants pour les admirer. Elle dansa ensuite d’autres danses avec d’autres personnes, mais c’est sa toute première, m’a-t-elle dit par la suite, qui lui a procuré le plus de plaisir. Après avoir accordé une bonne partie de son temps à la danse, elle se sentit quelque peu fatiguée et décida d’aller s’asseoir un moment. Elle choisit un joli siège, à l’abris des regards, et elle se prédisposait à fermer un court instant les yeux, lorsque qu’une voix familière suivi d’une autre qu’elle n’avait jamais entendue, lui parvinrent aux oreilles :

«  ... d’accepter mes plus sincères excuses pour vous avoir malencontreusement marché sur le pied, je ne regardais point où je me dirigeais, disait une voix de femme portante.

-          Je vous en prie, répondit un homme, oubliez tout cela, vous ne n’avez pratiquement qu’effleuré le pied. Je me nomme Tanguy Briquot, et je suis enchanté de faire votre connaissance mademoiselle…

-          Agathe Laboursein, répondit elle, en chantonnant presque. Et je suis moi-même honorée de votre rencontre. Où vivez vous ?

-          J’habite avec mes parents et mes 2 jeunes sœurs dans une demeure située à Reillat, domaine voisin de celui-ci. La famille Tricot, qui organise cette soirée comme vous le savez, sont des amis de longue date de mes parents, et m’ont donc convié au bal…car je sais qu’ils aimeraient me voir marier avec leur fille Catherine, finit il en baissant la voix.

-          Oui, je connais cette fille, mais je ne l’apprécie guère, avoua Agathe, cette une jeune fille beaucoup trop gâtée, si vous voulez mon avis… Oh ! mais je désolée, se reprit elle, peut être ne le vouliez vous pas ! Peut être avez-vous une inclination pour Catherine.

-          Non, mademoiselle, je partage vos sentiments ! Si j’ai accepté de venir ce soir, c’est seulement que je jouis de la compagnie de jolies dames comme vous, et que j’aime danser. D’ailleurs, si vous n’êtes pas occupée autre part, je serai ravi de vous inviter pour la valse suivante.

-          Avec grand plaisir, rigola Agathe. »

Eléonore les vit s’avancer sur la piste puis enchaîner sans discontinuer les 5 dernières danses de la soirée avec, comme cela devait se voir sur leur visage, une franche joie.

Visiblement, ma chère Inès, Agathe avait indubitablement, pendant ce temps de doux plaisir, oublié l’existence du comte de Montbistou. De quelle inconstance est dotée cette fille ! Oublier si vite de qui on s’est entiché ! Mais n’est ce pas mieux pour elle, étant donné le peu d’attachement que vous me disiez que le comte lui portait ?

Quand ma chère Eléonore fut rentrée du bal, elle ne cessa d’en parler pendant toute la semaine suivante. Le duc Emmanuel de Laryn revenait fréquemment dans ses propos. Aurait elle une inclination pour ce jeune homme ? Ce serait alors sa toute première, et j’espère qu’elle n’en sera pas déçue.

En ce qui vous concerne, je tiens à vous dire deux choses : tout d’abord j’ai trouvé votre conduite chez Alyssa de Rostellot amusante, quand vous écoutiez la conversation d’Agathe et du comte, mais aussi légèrement incorrecte par rapport à votre voisine de table si prévenante de votre santé et son neveu, le duc de Dytremore, lequel vous avez pratiquement négligé et ignoré ! Ce n’est pas une attitude convenable pour une jeune fille comme vous, mais vous en êtes consciente et vous vous l’êtes reprochée. J’espère cependant que vous ne croiserez plus jamais la route de ces deux personnes, au risque qu’ils vous rendent votre impolitesse de ce soir là.

Ensuite, je voudrais vous dire en aucun cas de changer votre caractère, chère cousine. Je ne vous trouve pas trop téméraire, seulement sûre de vous-même, vous n’êtes ni déraisonnable ni insolente, juste un peu rebelle et surtout d’une répartie implacable. Je vous conseille de rester vous-même, mais si cela ne plait  pas à vos parents, tâchez de faire profil bas et de vous effacer pendant un certain temps. Faites leur plaisir un moment, ils vous laisseront ensuite tranquille pour toujours !

Je n’ai pas eu de nouvelles récentes de papy Emile, mais je ne souhaite pas en avoir. Peut-être que vous il vous fait rire, mais moi, il me donnerait plutôt envie de pleurer. Quel déshonneur familial ! Quelles souffrances nous inflige-t-il ! Cependant même si je ne partage pas les mêmes sentiments que vous à son égard, je suis que vous trouviez le moyen de dédramatiser la situation.

J’espère que Louise et Amanda ne font pas trop souffrir nos parents, car, bien qu’heureuse de l’endroit où je me trouve maintenant, je regrette tout de même de ne pas pouvoir jeter un coup d’œil sur le comportement de ces deux chipies.

J’espère sincèrement que votre départ à Paris est imminent et que votre séjour sera aussi agréable que celui que je passe à Clairefontaine. Embrassez toute votre famille de ma part.

Votre cousine affectionnée, Rosalie de Rosyères.

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18 janvier 2008

Sommaire...

                                             

          Protagonistes:

Rosalie de Rosyères, cousine germaine paternelle d'Inès

Inès de Crécy, cousine germaine maternelle de Rosalie

     Famille de Crécy:

Papy Emile, grand père d'Inès et de Rosalie

Théodore de Crécy, père d'Inès, frère de Diane de Rosyères, époux de Solène

Solène de Crécy, mère d'Inès, épouse de Théodore

Vincent de Crécy, fils ainé, frère d'Inès

Erwan de Crécy, second fils, frère d'Inès, époux de Marianne

Louise de Crécy, dernière fille, soeur d'Inès

Marianne de Crécy, belle soeur d'Inès, épouse d'Erwan

Famille de Rosyères:

Richard de Rosyères, père de Rosalie, époux de Diane

Diane de Rosyères, mère de Rosalie, épouse de Richard

Edouard de Rosyères: fils ainé, frère de Rosalie, marié à Juliette Paradis

Eleonore de Rosyères, cadette des soeurs, soeur de Rosalie

Amanda de Rosyères, Benjamine de la famille, soeur de Rosalie

Juliette de Rosyères, ex Mlle Paradis, belle-soeur de Rosalie, épouse d'Edouard

Personnage de l'aristocratie:

Roland de Montbistou, comte de L'Avergogne, courtisan d'Agathe Laboursein

Alexandre de Dytremore, duc..., neveu de Justine de Chativard

Justine de Chativard, tante d'Alexandre de Dytremore, duchesse

La famille des Rostellot...

Aristide, ancien courtisan de Rosalie, marié à une bourgeoise de Villefranche

Emmanuel de Laryn, duc

Personnage de la Bourgeoisie:

Agathe Laboursein, camarade d'Inès et de Rosalie, amoureuse du comte de Montbistou

Madame Fratelat, commère

les Fretty-Liggodon, relations de Mariane.

Personnages extérieurs:

Madame Doré, commère

Madame Routte, commère

Lieux:

Domaine de Bouvreuil, propriété des De Crécy

Domaine de Houbois, propriété des Rosyères

Domaine de L'Avergogne, propriété du Comte de Montbistou

Paris (à venir...)

Domaine de Clairefontaine, propriété d'Edouard et Juliette de Rosyères

L'histoire n'étant point achevée, nous vous prions d'excuser notre inspiration à venir. D'autres personnages surgiront, en d'autres temps, en d'autres circonstances... Cela ne saurait tarder...

En bonus... Quelques noms de la suite... en fragments pour vous, lecteurs, si il y en a:

Pierrette, Tanguy, Un certain aristocrate... De Velitis,  ...

18 janvier 2008

Anecdote sur Agathe et Mr de Montbistou, rencontre avec Alexandre de Dytremore, ... par Inés

20 décembre 1823                                                                                  Bouvreuil.

                                                           Ma chère Cousine,

            Je suis heureuse de recevoir de vos nouvelles car je m’apprêtais justement à vous écrire aujourd’hui. Ce matin, quand j’ai reçu votre lettre, j’ai appris qu’un de vos laquais était tombé malade en cours de route. J’espère que sa maladie ne fut point la trop grave, car l’insistance avec laquelle j’attendais votre lettre serait alors jugée d’une certaine inconvenance de ma part. Comme vous vous en doutez, je ne donnerais point libre champ à un tel empressement s’il n’y avait de profondes causes qui me poussent à me conduire comme tel.

Figurez-vous qu’il y a une semaine environ, alors qu’Erwan nous rendait visite à Bouvreuil dans l’intention de régler quelques derniers détails de notre expédition prochaine, je reçus la visite… Devinez qui dont il s’agit… Oh je ne puis me résigner à vous faire languir tant l’histoire que je m’en vais vous conter, me paraît étonnante et non pour le moins amusante… Mais vous l’aurez certainement compris, mon histoire parle d’Agathe Laboursein…  Qui d’autre que cette chipie n’eut pu penser qu’une personne recevant des invités, même si dans la situation présente, il s’agissait de proches, il eut mieux fallu s’abstenir de lui rendre visite, ne serait-ce même si elle eut oublié ou négligé toutes bonnes convenances, d’une dignité à ne point paraître extravertie et licencieuse ? Mais je ne vous ennuierais point là avec de si futiles détails. Le véritable objet de sa visite, vous pouvez le soupçonnez, n’en était ni plus ni moins, non pas d’une intention courtoise, mais d’une importance, à ce qu’elle pensait et nommait être, l’accomplissement certain d’un bonheur matrimonial. J’aimerai que vous eussiez compris que l’intéressé de cet accomplissement d’une envergure dérisoire n’était autre que ce cher comte Roland de Montbistou. Cependant, avant que je ne vous rapporte avec précision le récit de cet amour croissant, il faut que vous sachiez que ce ne fut point là le résultat d’une simple rencontre et qu’ils se virent, tous deux conviés, en d’autres circonstances et en de pareilles occasions à se retrouver lors de certaines soirées et bals organisées par les familles aristocratiques et bourgeoises du voisinage. Je puis en attester, étant moi-même aller à quelques une de ces festivités. Pourtant Dieu sait qu’elles ne m’inspirent que le goût d’une extravagance outrancière et hypocrite. Néanmoins, nous ne tiendrons point compte ici de mes fantaisies puisque notre protagoniste n’est autre que notre chère Agathe. Si vous saviez, ces fois ou je fus présente, le plaisir indiscipliné qu’affichait Agathe quand le comte apparaissait ! Je ne saurais qualifier la conduite de ma compagne tant son attitude revêtait si peu la convenance et la pudeur prescrite ! Ses yeux pétillaient, non pas de cette beauté exquise que se plaise à décrire certains romans sentimentaux, mais comme ces bêtes de basse cours à la vue de leurs grains versés dans leur auge. Non, me direz-vous encore, vous n’oseriez tout de même comparés une bête et une jeune fille de bonne famille ! Et pourtant si, je l’ose. Pouvons-nous réellement prétendre que parce qu’une personne étant née dans le bon foyer puisse faire exception à la comparaison de son esprit à un animal, une autre, pauvre et mal aisée dusse subir le sort inverse ! Non, Rosalie, et je suis sure que vous en conviendrez, chaque homme est égal bien que certains bénéficient de privilèges que d’autre ne disposent pas. Mais que savons-nous de tout cela en réalité ? Peu de choses, car l’on ne nous apprend guère en quoi le partage des classes sociales est ou n’est pas  équitable. Ce qui est fortement dommage étant donné la pauvre réponse que je vous fournis et de mon intérêt pourtant vif pour le sujet. Enfin, il n’en est là que le fruit de  l’observation du comportement de ma camarade Laboursein. Compte tenu de détails trop intimes, je ne relèverais de ces rencontres que l’échange de regards langoureux et de mots ardents qui n’eussent du paraître en de si brèves retrouvailles. Je me rappelle tout particulièrement d’un dîner, organisé par la famille d’Alyssa de Rostellot ou le comte et Agathe, assis en face l’un de l’autre parlaient avec cette animation qui caractérise l’entrain propre, je vous ferais remarquer, aux amants passionnés. Je surpris quelques unes de leurs paroles qui, je l’avoue me tinrent muette. Et je profitais de ce semblant de mutisme pour n’écouter que ces deux voix qui faisaient échos entre elles :

" Comme vous me semblez à votre aise, en ce jour ma chère Mademoiselle  Laboursein !

- Vous-mêmes n’êtes pas en reste monsieur le Comte !

- Comment ? Vous ne pouvez donc toujours pas vous résoudre à m’appeler Roland, ma très chère Agathe !

- Oh Monsieur, vous me rendez toute chaude… oh pardonnez moi mon état de confusion… Je voulais dire toute chose…

- L’état de confusion vous sied si bien, ma bonne amie.

- Oh Monsieur, ce ne sont pas là des mots à dire à une simple jeune fille de ma condition et en un tel instant !

- Que craignez vous de ma conversation, ma petite ? N’eut-il fallu que vous vous nommiez Agathe Laboursein- j’insisterais au passage sur le nom de famille- que vous eussiez vingt deux ans, que vos cheveux ne fusse pas bruns auburn, et que vous ne fusses malencontreusement ma compagne de tablée et je ne vous eusse pas adressez la parole ce soir comme en ce moment !

- Monsieur, vous ne connaissez pas vos limites, et je ne saurais dire qu’elles me déplaisent ! "

A cet instant, alors que nous était servis un met exotique fort peu gustatif au premier coup d’œil, et que je portais à mes lèvres, un verre de muscat, je ne puis accomplir mon geste voulut. Le rire fusait déjà silencieux dans les canaux de ma gorge. Je pensais que cela ne fut point sans se faire remarquer quand ma voisine de gauche, une dame d’un certain âge, me demanda :

" Etes-vous sure de vous sentir bien ma chère ? Vos joues sont d’un rouge inquiétant. "

Je me repris alors, feignant une malencontreuse toux échappée d’une absorption rapide de muscat.

" Merci madame de vous enquérir de ma santé. Mais je ne puis vous permettre de vous soucier plus longtemps de moi. J’ai été sotte de pouvoir croire terminer si rapidement ma coupe. "

Cette aimable voisine renseignée sur mon compte, se tourna vers son voisin et je pensais pouvoir m’intéresser de nouveau au couple indécent sans attirer de nouveau l’intention sur ma personne. Mais à peine ma voisine s’en était retournée qu’elle m’adressait de nouveau la parole, conviant son voisin de droite à prendre part à notre discussion :

" Inès de Crécy, permettez-moi de vous présentez mon neveu, le duc, Alexandre de Dytremore.

- Enchanté, répondais-je n’écoutant et ne m’intéressant guère à cet homme, trop absorbée à reporter mon intention sur Agathe et le comte. 

- Permettez-moi d’en dire autant.

- N’êtes-vous point d’avis, mon cher, que notre jeune campagne semble distraite ?

- Ma foi, ma tante, je ne me permettrai pas de le dire… "

            Ces simples mots, prononcés furtivement mais distinctement, je me retournais, étrangement captivée par la voix grave et mélodique d’où ils émanaient. Je ne saurais dire ce qui eut pu à cet instant enchanter mon intérêt. Une effroyable sensation d’un trouble obscur menaçait mes tempes. Je pense qu’une gène me fit prendre conscience, tout simplement, de mon impolitesse à l’égard de mes deux locuteurs. Je m’accordai à leur prêter attention quand toutefois, je vis le duc, non pas son visage, mais sa personne, tournée vers une autre, ayant certainement préféré une conversation partagée que solitaire. Mon autre voisine, elle-même, me jeta le temps d’un instant un regard courroucé pour enfin reporter son intention sur le service des Rostellot. Je me sentis, à cet instant, pensez-vous, horriblement froissé de ces attitudes qui je reconnais, bien que rancunières n’en étaient néanmoins  justifiées. Aussi je vous prie de m’excuser sur le pauvre recueil de mots que se sont échangés ce soir là Agathe et Roland de Montbistou.  Excusez ma curiosité et la dispersion de mes intérêts de ce soir là.

            

Cependant, aussi pauvre que puisse l’être ces informations, vous en aurez assez vue, il me semble pour vous faire une idée de la relation qu’entretiennent le comte et Agathe depuis voilà trois semaines environ. Je ne crains hélas qu’il ne s’agisse pour le comte que d’un état d’esprit précaire, d’un simple escapade plaisante plutôt qu’une inclination profonde et assujetti aux embrasement passionnées. Qu’a cela tienne ! Je tiens seulement à ce que son admiratrice ne lui témoigne point trop d’attachement et de respect. Ce qui malheureusement, serait fort peu connaître le caractère naïf et irréfléchi d’Agathe Laboursein ! Quand d’autres se résolvent à agir avec circonspection, cette frivole née se croit autrement lotie, et pense agir comme bon lui semble, avec mégarde et inconsidération. Je ne parlerais point de ce comportement comme spontané car la spontanéité me parait estimable par la vivacité d’esprit qui l’y encourage. Mais permettez moi, dés à présent de vous relater le contenu des propos que me tint Agathe lors de sa dernière visite. Elle m’apprit que le comte la conviait, elle et quelques bons amis, à séjourner pour une durée approximative de deux mois dans sa maison de campagne située près de Genève, il me semble. Vous y attendiez-vous. Je persuadais du reste Agathe de ne point trop se faire d’illusion quant à cette invitation. Que cela ne devait l’inciter à y entrevoir quelques messages enclins à toutes attentions particulières. Mais cette pauvre âme en est si éprise que je ne pus lui faire entendre raison. Qu’y pouvons-nous ?

Me reprocherez-vous d’un manque d’efficacité ?

Je souhaite maintenant vous parler de ce cher papy Emile ! Me voyez-vous navrée de la consternation que son comportement engendre dans votre famille. J’ajouterais qu’elle est similaire à celle que nous partageons à Bouvreuil. Hélas, que pouvons-nous entreprendre contre ces personnes d’un certain âge et que la solitude torture leurs souvenirs heureux ? Pour ma part et vous en serez certainement fâchée, je trouve pourtant notre grand-père peu commun et original ! Pour ne rien vous cacher, il m’amuse ! Nous pouvons au moins nous assurer qu’il s’agit là d’un grand personnage ! Ce qui m’amène à penser que notre vie n’en est finalement que plus égayé. Qu’en serait-il autrement ? Je vous y laisse méditer avec toute la sagesse dont je ne saurais faire preuve en cet instant ou je vous écris.

            Je suis d’autre part étonnée de ce que votre première inclination ne reste soldé sur un échec. Mais je me plais à penser que vous vous satisfaisiez  du présent et que ce cher Aristide connaît un parfait bonheur sans vous, défait de tous regrets et tristesse de vous avoir perdue. Vous comprenez là que je vous taquine, chère Rosalie, hélas je ne puis m’en empêcher. Je vous promets néanmoins de faire quelques efforts pour m’absoudre de ce vilain défaut dans mes prochaines lettres. Je tacherais également d’adopter un style plus modéré comme m’y encouragent vivement mes parents. Me trouvez-vous tout particulièrement insolente ?

Enfin, je tiens à vous féliciter de l’enseignement que vous apportez à votre sœur. Nous reçûmes en effet la visite d’Eléonore qui me parait, je vous dirais, considérablement changée. En bien, je vous rassure. Que son tempérament semble s’être affermit et consolider ! Ce qui est similaire, me reprocherez-vous. Remerciez la, bien que nous l’eûmes fait, de sa visite qui fut particulièrement apprécié de votre tante Solène ! Maman la trouve charmante et agréable à l’écoute. Nous l’avons tous encouragée et réconfortée pour son premier bal qui se déroulera, comme elle nous l’a averti, dans 2 jours. Certes, je la sens légèrement tendue, mais c’est bien normal, je l’étais moi-même lors de ma première sortie dans le monde.

Je vous encourage encore une fois, et je ne crois me tromper en y pensant que ce ne sera pas la dernière fois, à instruire Amanda de la même façon.

Quand à ce qui vous tenait à cœur, pour finir : le mariage de votre frère. Vous vous rappelez avec une telle exactitude ma chère Rosalie… Avec quel enthousiasme ! Comment pourrai-je me permettre de vous en blâmer. Bien au contraire, votre attitude me ravit et m’est exemplaire. Pour ma part, il est vrai que j’eus fort apprécié toutes ces festivités, ces cœurs épris et tout ces beaux mots d’amour. Cependant… Oui, nous deviniez là un cependant, avant même que je ne l’eus prononcé. Vous me connaissez. Cependant j’eus fort regretté que je ne pusse pas plus agir de ma propre pensée en ce jour cérémonial. Mes parents depuis quelques temps me trouvent fort peu raisonnable et me jugent trop téméraire en de certaines occasions. Ils me surveillent donc avec plus de considération qu’autrefois. Qu’il est loin le temps de notre enfance et de notre liberté. Ne le sommes-nous donc pas éternellement ? Je me plais à penser que si, mais plus de la même façon… Vous savez qu’il n’est nul sacrifice que je n’accomplirais pour me bien tenir auprès de ma famille mais il m’est des jour ou mon effronterie se réveille avec une emphase chaque fois obtus que la précédente.  Ce jour-ci, et je vous prie de me pardonner de ma propre malséance et que je sais reprocher à autrui et que j’accepte si mal dans mon propre cas.

Je vous parlais dans ma dernière lettre comme de la dernière que je vous écrivais de Bouvreuil. Remarquez que je me suis trompée, espérons que cela ne m’arrive plus. Ainsi je vous assure une nouvelle fois de cette lettre comme de la dernière écrite de Bouvreuil.

Je vous prie d’adresser mes sincères et chaleureuses pensées à mon oncle, ma tante, cousins et cousines.

Affectueusement, Inès de Crécy.

18 janvier 2008

Honte sur Papy Emile, mariage d' Edouard, impressions sur Agathe... Par Rosalie

14 novembre 1923                                                                                                    Houbois

            Chère cousine,

Quel soulagement de recevoir à nouveau une de vos lettres ! Je vous avouerai avec une certaine franchise, que j’ai été quelque peu inquiète de ne pas avoir de vos nouvelles rapidement. Je ne vous avais pas vu dans le voisinage ces derniers temps, et alors s’était formé dans mon esprit une folle idée, à savoir celle que vous étiez partie précocement à Paris, sans m’en avoir avertie à l’avance. Mais connaissant votre attitude prévenante et bienveillante à l’égard d’autrui, je savais pertinemment au fond de moi que mon idée était sans fondement raisonnable. Cependant, comme je vous le disais, l’arrivée de votre coursive m’a grandement apaisée.

L’histoire que vous m’avez contée de Papy a eu une certaine résonance et des échos sont parvenus jusqu’à Houbois. En effet, le samedi suivant la petite expédition qu’avait entrepris papy, nous étions Eléonore et moi, sorties en ville pour y acheter quelques rubans de mousseline et flâner un peu dans les rues grouillantes de monde. Vous savez à quel point Eléonore aime se plonger dans les bains de foule ! Alors que nous prenions une rue perpendiculaire à l’avenue X, nous entendîmes, à côté d’un magasin de gourmandises, Mme Doré et Mme Routte parler entre elles :

« …reçu en pleine après midi la visite de Mr Emile de Crecy, visite qui était fort peu convenable et inopportune, je puis vous l’assurer Mme Routte ! Ce vieil homme négligé m’a importuné et fait des avances peu recommandables. Mais je n’y ai guère prêté attention car voyez vous, ses yeux vitreux et sa démarche penaude m’ont fait comprendre tout de suite que j’avais à faire à un homme ivre. Je l’ai donc gentiment repoussé et conseillé de rentrer chez lui et de se coucher jusqu'à ce qu’il dé saoule.

- Voila donc une histoire fort peu anodine, répondit Mme Routte. J’ai toujours tenu en respect ce vieil Emile, mais il est vrai que depuis la disparition de sa femme, sa compagne favorite est devenue la bouteille. Quelle étrange consolation ! Sa famille ferait sérieusement mieux de s’occuper de lui ou Dieu ne sait à qui il ira se déclarer la fois prochaine. »

Sur ce, elles se mirent à rire et s’éloignèrent de bon pas. J’étais quelque peu abasourdie et ne put bouger pendant un instant. Ce grand père nous mène la vie dure, Inès ! Je souffre de la réputation qu’il va nous apporter. Mmes Doré et Routte ne savant tenir leur langue, il n’est pas difficile de prévoir que le village sera au courant de l’aventure de Papy d’ici peu de temps. Et alors la honte sera encore pire ! Comment parviendrons nous à surmonter cela ? Certes ce n’est pas la première fois que papy commet quelques actions néfastes à notre renommée, mais je pense que celle-ci est de loin la plus grave.

Lorsque nous sommes rentrées à Houbois, je n’ai pas voulu parler de la discussion que nous avions surprise à mon cher père, mais Eléonore a tellement insisté que j’ai fini par céder. Erreur fatale !  Mon père en a été terriblement affligé au point qu’il s’est levé et est sorti dehors sans nous dire un mot ni lancé un regard. Cela a tourmenté également ma mère.

Vous voyez, Inès comme le poids d’un grand père ne se comportant pas de manière correcte peut peser sur une famille.

Mais cessons de parler de choses déplaisantes et tristes. En arrivant au milieu de votre lettre, j’ai soudain été prise d’un fou rire incontrôlable, dû particulièrement à l’évocation des pommettes rouges et généralement au souvenir de ce cher Aristide. Il est vrai que je n’étais point insensible à son charme suave. C’est un garçon qui faisait preuve d’une grande mansuétude, d’une bonté et d’une gentillesse incomparable. Qui plus est, il dégageait, même à cette âge précoce, une certaine sensualité. Son port de tête me paraissait altier, ses yeux pétillaient d’une lueur d’intelligence et de ses pommettes rougissantes quand on lui faisait un compliment exaltaient une pudeur et une modestie modérée. Cet hiver où nous nous sommes, lui et moi, rencontrés restera gravé dans ma mémoire à jamais. C’est un souvenir agréable et distrayant que j’aime me rappeler à mes heures oisives.

Cependant, si je n’y fais plus allusion, c’est qu’il y a une raison bien particulière, raison qui d’ailleurs m’a réjouit mais étonnée il y a peu de temps.

En effet, vous ne devez sans doute pas être au courant, mais ce cher Aristide, aujourd’hui âgé de 26 ans, il me semble, s’est marié ! Je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer sa nouvelle épouse, mais ma mère, qui elle, a eu le privilège de la voir, m’en a dit beaucoup de bien. C’est une jeune fille d’une vingtaine d’année qui vient de Villefranche et qui avait, m’a-t-on dit, une dot fort élevée.

Quoiqu’il en soit, vous comprenez aisément pourquoi je préfère ne plus parler de cette faiblesse de cœur qu’il avait suscité en moi. Et puis, chère Inès, cela fait si longtemps, nous étions si jeunes ! Il est vrai je l’admets, que jusqu’à l’année dernière, je ressassais sans cesse ce sujet. Mais je me rends compte désormais qu’il vaut mieux avancer vers l’avenir et ne pas trop regarder en arrière. Vous ne pourrez me dire le contraire car à l’heure qu’il est vous devez être soulagée d’apprendre que je n’y ferai plus jamais allusion, du moins en votre présence. Je vous prie de m’excuser des nombreuses heures d’ennui que j’ai dû vous faire subir à évoquer pour je ne sais combien de fois ce souvenir de jeunesse.

Comme vous l’avez si judicieusement remarqué, j’ai attrait pour les choses qui ne touchent personne, ou qui généralement passent inaperçues pour la plupart des gens. Oui, par exemple, ces chères pommettes rouges, dont vous m’avez parlé, qui, pour la majorité des individus, restent un détail sans importance dans l’apparence globale. Mais moi, j’y décèle beaucoup plus. Ce petit détail, justement, ajoute un charme imperceptible mais attirant, et mon intérêt pour la personne en sera davantage augmenté.

Je me rappelle d’une fois, excusez mais ma mémoire me fait défaut de la date et des circonstances, où j’étais sortie avec ma mère me rafraîchir quelque peu. Alors que nous nous promenions, un petit garçon, apparu de nulle part, vint vers nous. Il nous regarda, nous sourit et nous demanda si nous n’avions pas vu de petite fille se promenant, car disait-il c’était sa jeune sœur qu’il cherchait. Nous lui répondîmes que non et alors le garçonnet parti d’un pas nonchalant. Ma mère déclara alors d’un ton détaché qu’elle n’avait « pas trouvé ce petit homme agréable. » Certes, il portait des vêtements usités, ses joues étaient légèrement salies et sa démarche était branlante. Ayant moi-même remarqué ces torts, j’avais cependant aperçu une chose que je trouvais absolument fabuleuse : le petit garçon avait dans son œil gauche, une petite tâche d’un bleu puissant, merveilleusement contrasté par le vert émeraude de son iris. Cette particularité ajoutait une sorte d’espièglerie au regard de cet enfant. Ma mère ne semblait rien avoir remarqué, alors que moi j’étais émue.

Peut être ai-je un sens de l’observation trop aigu, peut être cela ne sert il à rien de s’émouvoir d’une bagatelle, mais j’aime à admirer les personnes pour leur trouver un charme dans un détail peu commun.

Pour répondre à vos questionnements sur mes sentiments actuels, je puis vous dire que le temps de sortir étant rare en ce moment, je n’ai pas eu l’occasion de me présenter aux bals et ainsi faire la connaissance de jeunes hommes qui pourraient postuler pour le rôle d’époux. Vous voici donc, j’espère, renseignée sur vos interrogations.

Ces temps-ci, je m’occupe surtout et principalement à essayer qu’Eléonore devienne plus extravertie pour être à l’aise lors de sa première sortie dans le monde qui est maintenant dans à peu près un mois. Je lui fais faire des exercices théâtraux où elle doit prendre la parole devant tout le monde (c'est-à-dire ma petite famille), où elle doit improviser et articuler. Je lui ai également appris à avoir un bon maintient, à marcher la tête relevée et à toujours sourire.

Il me reste encore à lui faire réviser quelque pas de danse car la pauvre à la fâcheuse habitude se s’en mêler les pieds, ce qui lui cause du grand souci. Mais mon père et moi la réconfortons et l’encourageons.

De plus, elle nous a pardonné de l’avoir vexé pour le refus que nous obtempérions de la voir fabriquer sa robe de bal. C’est avec une très grande joie qu’elle a reçu l’approbation la coudre elle même. Je l’ai avertie qu’elle devait ce changement d’avis à vous chère cousine, et ma sœur ne devrait pas donc pas tarder à vous rendre une visite pour vous remercier.

Passons maintenant, à une chose qui me tient très à cœur. Je voulais vous reparler du mariage d’Edouard et de Juliette. Je sais que nous en avons discuté des centaines de fois depuis la célébration il y a maintenant 1 mois, mais je ne me lasse pas de vous entendre répéter que la mariée était magnifiquement vêtue d’une robe en chaly dont le corsage était minutieusement travaillé. Ses bracelets en rubans chinés et son chapeau en paille de riz harmonisaient parfaitement le tout. Juliette est coquette, mais cela lui sied si bien ! Quant au marié, il abordait un air et une figure des plus gracieux. J’ai vu ma mère pleurer durant l’échange des alliances aux reflets nacrés, et j’ai senti que mon père tout ému en les voyant nager en plein bonheur. Le repas était des plus délicieux, les corbeilles de fleurs jaunes se mariaient si bien avec les feuilles orangées et rougeâtres qui tombaient en tourbillonnant des arbres. Pour couronner le tout, le temps était au beau fixe, même pour un mois d’octobre, ce qui ajoutait à cette journée une dimension pittoresque et féerique.

Je regrette juste cependant que Louise et Amanda aient été si sottes et si peu respectueuses en cette journée. Avez-vous remarqué la façon indécente avec laquelle elles se comportaient ? Elles couraient de partout, éclataient de rire bruyamment et importunaient papy Emile qui ne doit, je pense, se rappeler peu de choses de cette journée sublime tant il a eu la main lourde sur la boisson.

Donnez moi, je vous prie, votre avis sur tout cela.

J’ai été très heureuse de partager ce délicieux jour en votre compagnie et j’espère qu’il en est de même pour vous. De plus, comme je vous l’avais dit dans ma lettre précédente, je suis satisfaite de l’épouse que mon frère a choisi et je me réjouie à l’idée qu’elle fasse désormais partie de la famille. Le seul point qui pourrait m’attrister est qu’Edouard va bientôt partir du domaine pour aller emménager ailleurs et fonder à son tour une famille. La date de son départ n’est pas encore prévue, mais ce n’est qu’une question de temps, de logement et d’argent…

Je continuerai cette lettre en vous donnant mon avis sur Agathe Laboursein. Effectivement, je suis connue d’elle. D’ailleurs, qui ne connaît-elle pas ? Cette extravagante personne parait en effet avoir un penchant pour ce qui concerne les relations sociales. A chaque fois que je la vois, elle est entourée de multiples personnes, souvent différentes d’un jour à l’autre. Elle aime se sentir entourer de gens qu’elle aime, mais au fond combien de personnes, parmi son entourage, l’apprécient ? Elle est généreuse, certes, mais devient encombrante quand on commence à mieux la connaître.

Je n’aime pas beaucoup les manières frustres avec lesquelles se comporte Agathe. Elle est vraiment trop expressive et aime à ce qu’on la remarque. Elle manque de tact pour s’adresser aux personnes et est trop brusque dans ses gestes. De plus, son statut de bourgeoise dont elle se dote alors qu’elle ne le mérite nullement montre à quel point elle se prétend supérieure aux autres. Quelle erreur !

Quelle honte a dû être la vôtre lorsque vous rencontrâtes ce Mr de Montbistou ! Agathe et Mme Fratelat se mêlent énormément des affaires des autres sans aucune discrétion. Dans quel embarras cela les mènera-t-elles un jour ?

De plus, Agathe n’a aucune considération pour les hommes. J’ai l’impression que les qualités morales l’intéressent peu et que le physique prime avant toute chose. Mais quelle sorte de personne est-elle pour penser ainsi ? N’y a-t-il pas, pour elle, plus important que l’apparence ?

Je trouve d’ailleurs que la manière dont elle se poudre le visage et la façon dont elle se vêtit démontrent assez bien sa superficialité et son manque de discernement et de réflexion.

Je vois d’un œil assez noir le fait qu’elle s’attache à nous et j’en conviens, comme vous, qu’il faudrait soit la rappeler à la morale, soit l’évincer de notre cercle.

Pour ce qui est de Mr de Montbistou, j’espère que vous n’aurez plus jamais la malchance de le croiser, comme votre gène en serait terrible. Cependant, je ne sais pour quelle raison, un pressentiment m’indique que ce n’était pas la dernière fois que vous le verrez. Mais patientons, c’est le temps qui confirmera ou non ce que je ressens.

Quoiqu’il en soit, votre histoire m’a pleinement divertie et j’abordai un sourire toute la soirée.

Le temps se refroidissant de plus en plus, je pense que mes visites chez vous se feront de plus en plus espacées, d’autant plus que papa et Eléonore ont besoin de mes services. Si par hasard votre départ pour Paris se ferait alors que je ne suis pas disponible, je vous prie de m’informer par lettre du déroulement exact.

En espérant que votre famille se porte à merveille, adressez leur mes plus chaudes salutations.

            Avec toute mon affection,

                                               Rosalie de Rosyères.

 

    

 

16 janvier 2008

L'arrivée du Comte de Montbistou, La fuite de Papy Emile, souvenirs... Par Inès

      8 octobre 1823                                                                                                                             Bouvreuil.

Chère Cousine,

                Vous devez très certainement vous demandez pour quelles raisons ai-je tant tardé à vous répondre. En cela, je m’en excuse. Non que rien de grave n’ait été prononcé, sinon une anodine infortune.

         

                        Ce très cher Papy, comme vous le nommez si bien, prétend pour tous et chacun de nous, assurer un très bel avenir, en commençant de ce fait par déboucher, tôt dans la matinée, deux rincettes de Brandy ; le tout diffus dans une originale et enthousiaste cacophonie. Hormis ces quelques charivaris quotidiens inspirés, nous ne saurions trop lui reprocher cette faiblesse du cœur. Mais voici que ce jeudi même, il décida d’ajouter une troisième chopine à son nectar – « vous n’aviez qu’a appréhender cette alternative préalablement, me direz-vous » – mais je vous affirme avec toute la vigueur qu’exige ma position  qu’il n’est nul cas que nous n’ayons négligé et que nous jugions Grand Père plus sage et plus digne de confiance. Nous nous sommes trompés, il faut croire. Mais voyez-vous, nous ignorons encore comment et dans quelles circonstances, il pût s’effectuée une telle audace et une si vive altération dans son comportement. Suit à cette désinvolture, une difficulté qui en est là l’origine de cette affaire. L’air hagard et triomphant, de ceux à qui nul n’ose soumettre un refus, Grand Père s’en alla conter fleurette à quelques douairières du village voisin ; laissant Bouvreuil dans un état d’inquiétude et de crainte que je n’oserais vous dépeindre tant le ressentiment que me suggère ce souvenir est encore pénible. Mais je ne saurais continuer à trop vous ennuyer avec cela.

            Vous savez, je me rappelle parfaitement de cette ballade dont vous me faites le récit dans votre précédente lettre. Mais vous avez oubliez de dire, bien que je pense qu’il s’agisse plutôt d’une abstraction volontaire, que la scène se passait en hiver. Et souvenez-vous justement de cet hiver ? Ne vous a-t-il point marqué ? Ne vous laisse t-il donc plus aucune trace de tendresse en votre cœur ? Allons donc, l’année dernière, voila que vous me parliez encore de cette époque comme si les jours n’étaient qu’heures, comme si les minutes n’étaient que seconde, comme si ce premier amour était encore de première date ! Oui car enfin, osez me dire qu’il n’en est aucun cas, que je me trompe ou que mon impertinence m’amène une nouvelle fois à considérer un simple batifolage comme une fantaisie luxuriante. Je ne saurais alors que trop rire de vos protestations. Bien que vous prétendez adorez ce « cher Erwan » depuis le jour ou il ; je vous cite : «  vous a toujours protégé et soutenu », vous n’en étiez pas moins subjugué par cet Aristide, notre petit voisin. Aristide par ci, Aristide par là ! Ah de quelle patience je devais m’armer pour supporter ces incroyables bavardages. Si mes souvenirs sont bons, vous affirmiez adorez chez lui, ses pommettes saillantes ! Quelle étrange chose que voila ! Se réjouir de pommettes. Mais je ne m’étonne de rien avec vous, Rosalie !    

Ce n’est pas la première fois que vous me faites cette impression ! Savez-vous comme je vous taquine et comme je prends plaisir à le faire ! Ne me jugez point trop cruellement. Les âmes oisives comme moi, sont à plaindre. Elles noientleur accablement par le rire, bien que d’autres choisissent les pleurs, par le plus désuet qui les entourent. Et voyez-vous justement que ma réserve de moquerie me faisait peine car vide et voilà que vous me fournissez l’essentiel pour rire à nouveau.  Rouges, elles étaient, je crois ! Ses pommettes ! Je pensais bien qu’après un an vous me feriez de nouveau l’éloge de ce souvenir. Il m’était devenu agréable avec le temps, comme ces proverbes qui se glissent dans vos esprit sans plus jamais n’en sortirent ! Votre souvenir était un proverbe, il l’était du moins devenu en agissant dans ma mémoire comme un rappel à chaque hiver. Et voici que vous n’y faites plus allusion. Cela présume deux choses : soit vous êtes devenu sage avec le temps, ce dont je ne doute point, soit que vous avez de nouveau été depuis peu transporté par des charmes nouveaux. Si tel en est le cas, je comptes sur vous pour m’en faire le récit. J’aime à me divertir de ces histoires de cœur. Mais rassurez-vous, je ne ferais point cas de la votre comme d’une amourette de laquelle il faut se moquer. Je vous estime trop pour cela. Et j’avoue que je suis déjà comblée avec celles d’Agathe Laboursein. Vous la connaissez je crois ! Une pipelette comme il ne m’a jamais été donné d’en voir. Imaginez-vous, pire que ma belle sœur, Marianne ! Présomptueuse de surcroît ! Elle se farde d’un statut de bourgeoise dont elle n’est pourtant nullement la véritable usagère, car qui est le mieux  désigné que son père pour mériter ce qualificatif ! Vous me connaissez, Rosalie, pour juger qu’il ne s’agit point la d’une puérile discrimination sociale. Je ne profiterais jamais de mon titre de noblesse pour rabaisser qui que ce soit. Même une volée d’Agathe aussi exubérante qu’elles puissent être. Elle agit d’une telle manière ! Vous devriez l’y voir, quoique vous en ririez bien ! Impudente, expansive, turbulente, cette petite sotte se conduit comme une véritable catin ! Sa société, quoique qu’elle puisse m’apporter de l’agrément en devient à chaque visite que je reçois d’elle ou que je lui le rends, plus compromettante. Rions encore un peu, mais soyons sincère, je ne tarderais pas à lui faire quelques sérieuses morales ou à l’écarter de mes relations. 

              Voici trois jours encore, alors qu’elle me pressait de l’accompagner en ville dans l’intention de choisir un nouveau ruban pour sa robe bleu marine je crois, à moins que ce ne fut pour la jaune en dentelle, Agathe aperçut un jeune homme qui je le reconnais ne manquait pas de charme. Ses manières étaient celle d’un homme distingué, sa silhouette, élégante et son air, intelligent. Mais pensez-vous qu’Agathe en eut tenu compte. Le simple fait que celui-ci eut bonne mine suffit à la rendre émue, et je vous parle en terme propre, émue ! Mais la n’est pas le pire. A peine le jeune homme était-il entré dans une boutique voisine à la notre que cette affreuse sauterelle sautait partout en quête de renseignement à son sujet ! Imaginez-vous ma gène ! Mme Fratelat qui passait à cet instant nous renseigna bien plus qu’on  eut put s’en satisfaire. « Savez-vous qui est cet homme ? Nous dit-elle. Ce à quoi nous répondîmes par la négative. Toute heureuse de débiter ce qu’elle savait, elle nous apprît alors qu’il s’agissait de Roland de Montbistou, fils du comte de Montbistou, propriétaire du Domaine de L’Avergogne ! « Est-ce vrai ; s’exclama Agathe, les yeux pétillants. Question à laquelle notre interlocutrice répondit sur la défensive : « Mais bien sûr, très chère ! ». Visiblement ses aveux ne suscitaient pas l’unanimité parfaite au degré suffisant. Je pense tout simplement qu’elle jugeait l’ahurissement de ma campagne comme excessif et malséant et de mon in expression comme malvenue et déconcertante. Pensez-vous qu’elle s’attendait à ce que je fasse œuvre de chaleur, d’intérêt à l’écoute de son récit étant donné mon rang social. Et inversement, d’une réserve plus conciliante et d’une tenue plus modeste de la part d’Agathe avec son titre inférieur au mien. Comme cela m’amuse ! Cependant, toute bavarde qu’elle était, elle pensait d’ailleurs à nous, tous les villageois,  rendre un grand service en divulguant à droite et à gauche ses savoirs qu’elle tenait dont ne sais ou.   On sut alors qu’étant désireux de s’établir pendant un temps et marquer son indépendance, il avait opté pour notre charmante petite ville X. « C’est un honneur, glapit-elle, que de le compter dans notre voisinage. « C’est certain, et il me tarde de le rencontrer ! », Approuva ma campagne, d’un sourire ambigu.  A peine Mme  Fratelat n’avait-elle eu le temps de tourner des yeux pour marquer son indignation et sa vive désapprobation à la vue d’un tel comportement qu’une voie derrière nous retentit : O, vraiment, n’avez-vous donc aucune crainte qu’il fusse méchant homme ? Nous  retournâmes, effrayées par l’écho de cette voix suave et téméraire. Quelle surprise, croyez-vous que nous eûmes quand nous vîmes que cette personne n’était autre que ce Roland de Montbistou. « Ainsi, on désire me connaître. Je vous assure qu’il en sera un plaisir ne voyant la que de charmantes Dames ». Au mot charmante j’eus bien vu qu’il me fixait pour finalement remarquer qu’il ne m’intriguait pas et reporter alors son attention sur Agathe, chétive bête à cet instant. Il sut alors que c’est elle sur qui compter pour faire valoir ses nombreux charmes. Il est sur qu’il devait restreindre son champs de soupirantes. Mme Fratelat, en raison de son grand âge n’allait tout de même pas  être tenu comme membre de celui-ci ! Quel déshonneur auquel cas ! Après quoi, je décidai de couper court à cet entretient, embarrassant, qui je crois est le bon mot pour qualifier cette gène qui m’étreignit à cet instant en pensant que nous avions été surprises ainsi, de manières aussi stupides, comme ces commères, âmes fétides et sujettes, pour la plupart, aux mauvaises langues ! Heureusement, ma réputation ne s’en désaltèrera pas pour autant. Il reste peu de temps encore avant que je ne parte pour Paris. Si vous saviez comme il me tarde de rejoindre mon frère chez ces Fretty-Liggendon pour enfin avoir le privilège de partir ensuite à la quête de ces rues, de ces faubourgs parisiens. La seine, m’a-t-on dit est merveilleusement belle ! Quelle hâte ai-je de confirmer ce point de vue !

              Mais assez parler de choses superflues, vous me demandez votre avis au sujet d’Eléonore ! Aussi vous répondrai-je en toute franchise. Laissez-lui donc cette joie de concevoir elle-même sa robe ! Que risquez-vous qu’il arrive ? Quand je vous demandais dans ma précédente lettre des nouvelles concernant sa couture, je ne doutais point que vous me répondriez par l’attestation qu’il s’agit d’une excellente ouvrière. Sur ce je vous laisse méditer comme bon vous semble en ayant la tranquillité d’esprit de ne m’être point hasardé dans une situation d’ordre intime. Vous me demandiez également des nouvelles de ma famille ! Je vous dirais donc qu’ils paraissent tous au meilleurs de leur forme, excepté Louise qui à trop vouloir braver l’interdit, un interdit qui n’est nullement matière à l’aventure mais à l’impertinence qu’encourage sa trop grande coquetterie, s’en est retrouvée punie et donc démunie de toutes bonnes attentions. Cette enfant m’exaspère ! Renseignez moi vous aussi, je vous prie, des nouvelles de votre famille.

                 Comprenez qu’il n’est nullement de plaisir plus chaleureux que de m’entretenir avec vous mais je vous laisse sur cette dernière phrase qui sera, je pense, la dernière que je vous écris de Bouvreuil.

          Votre cousine très affectionnée, Inès de Crécy

            P.S : Puissions n’avoir jamais rencontré d’Agathe Laboursein. Pour notre bien à tous.

16 janvier 2008

Préparation du bal d'Eleonore et autres nouvelles... Par Rosalie

29 septembre 1823                                                                                                    Houbois

            Ma très chère Inès,

                  Quelle fut ma joie lorsque je reçus votre lettre ! Sachez qu’elle était très attendue, car comme je vous l’avais déjà dit ultérieurement, j’aime votre style d’écriture, désinvolte mais profond. Je ne me lasse jamais de lire et relire vos lettres. Vous me direz sans doute que vous ne méritez pas ces éloges, mais alors ce sera simplement la modestie qui vous empêchera de les recevoir pleinement. Quoiqu’il en soit j’ai grand plaisir de vous répondre.

                          En ces temps là, les jours passés à Houbois sont agités. Je n’ai guère de temps à me consacrer ! Pas que je ne m’en plaigne, loin de là, mais la fatigue est souvent ma compagne en ce moment. Comme vous le savez certainement une jeune fille de 21 ans est très occupée. Mais je m’occupe en plus de votre oncle, mon père, qui aime se faire choyer. Il en devient quelque peu irritable, mais heureusement ma mère est présente et remplit son devoir d’épouse à merveille.

                           Eléonore, quant à elle, déborde de joie. L’invitation à un bal s’est effectivement proposée à elle, comme vous en aviez l’intuition. Il se déroulera ce 15 novembre prochain au domaine de Spirée, chez des amis à mes parents, à seulement 3,5 lieues d’ici. Et, oh ! Eléonore aimerait coudre sa robe de bal elle-même ! Quelle idée saugrenue a-t-elle eu ici ? Lorsque dans l’élan de joie, à l’annonce du bal, elle nous a exposé son idée, nous avons quelque peu rit d’elle, et je crois que nous l’avons blessée. Nous nous sommes ensuite excusés mais il me reste la lourde tâche de lui dire que son imagination est trop débordante et qu’elle devra se contenter d’une jolie robe faite par un vrai couturier. Pouvez vous me conseiller sur la démarche à suivre ?

Et comme vous l’avez judicieusement remarqué, sous ses airs communicatifs, Eléonore est une grande timide. J’espère donc, durant ce délai d’à peu près 2 mois avant que le bal n’est lieu, lui donner plus de confiance en elle et plus d’aisance.

                         Amanda, elle, est fidèle à elle-même. Toujours à fourrer son nez partout, à s’extasier pour tout et pour rien. Elle est incorrigible et j’espère pour elle qu’elle s’assagira avec le temps. Mais on ne peut pas dire qu’elle suive le meilleur exemple en la personne de Louise. Votre sœur, quoique légèrement plus âgée, est également une sotte personne. Ensemble, elles forment un duo de vraies chipies, s’influençant mutuellement. Comment remédier à cela, avez-vous une idée, chère Inès ? Nous ne pouvons tout de même pas les empêcher de se fréquenter, elles ne le supporteraient pas.  Amanda devrait avoir une meilleure éducation et j’aimerais lui inculquer les bonnes manières, du moins les plus fondamentales, mais répondez moi franchement, trouvez vous que cet apprentissage doit me revenir ? 

Pour ce qui d’Edouard, mon cher frère, j’espère de tout cœur qu’il a trouvé l’âme sœur en la personne de Juliette Paradis. Vous n’avez sans doute pas oublié qu’ils se marient dans à peine 2 semaines. Juliette est une personne douce, attachante, pleine de gentillesse et de générosité. Tout le contraire je vous l’accorde, de Mlle Marianne. Certes, je ne l’ai vu que 3 fois, mon reproche peut donc vous paraître trop hâtif, mais ma première impression a été de la trouver trop loquace et réellement inintéressante. Cependant, ne dit on pas que la première impression est toujours la bonne…? 

Il est vrai que je n’ai pas compris l’inclination d’Erwan pour cette femme. Mon cher Erwan, mon cousin que je chéris tant. Depuis le nombre de fois où je vous l’ai répété, vous devez maintenant être excédée de m’entendre dire que votre frère est de loin mon cousin préféré. Lui, qui depuis ma tendre enfance, ma toujours protégée et soutenue. Je lui dois une très grande reconnaissance pour tout ce qu’il a fait et j’ai parfois peur de manquer de gratitude à son égard. Je me rappellerais toujours du jour où nous étions, vous et moi, en train de nous promener sur le sentier Crocus du domaine de papy, bien que celui-ci nous avait fortement interdit de ne pas nous aventurer sur ce chemin ci, trop dangereux pour les petites filles que nous étions à cette époque là. Papy nous avait alors aperçu et au moment où il allait nous réprimander, cet adoré Erwan était venu à notre secours en prétendant que c’était de sa faute si nous nous trouvions là. De quel désastre nous avait-il sauvées alors ! Il avait été puni à notre place, sans que nous n’osions dire quoi que se soit. Et il faut dire que c’est normal, car nous avions une peur effroyable de notre sévère et strict grand père. Mais aujourd’hui qu’est il devenu ? Comme vous le dites si bien, « il n’y a pas un jour sans qu’il ne paraisse l’air goguenard et guilleret » ! Quel déshonneur pour notre famille. Mon père souffre tellement des commérages et médisances qui sévissent à son sujet ! Mais trêve de plainte.

               Je tenais à vous féliciter. Je suis si heureuse pour vous que vous quittiez Bouvreuil quelque temps pour allez à Paris. Certes la compagnie ne sera pas la meilleure, mais je suis sûre que vous reviendrez comblée. Un air nouveau fait toujours du bien. J’espère que vous ferez de belles rencontres avec des personnes autres que l’entourage de la nouvelle Mme de Crécy, car je vous le confirme, ce nom de Fretty-Ligendon ne m’inspire guère confiance.

             Tenez moi au courant de l’état de santé de votre famille, je vous en serez reconnaissante, car j’ai trouvé Louise un peu pâle la dernière fois.

                                   Avec toute mon affection,

                                                                                  Rosalie de Rosyères.   

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Le XIXème des De Crécy...
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