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Le XIXème des De Crécy...
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Le XIXème des De Crécy...
18 janvier 2008

Honte sur Papy Emile, mariage d' Edouard, impressions sur Agathe... Par Rosalie

14 novembre 1923                                                                                                    Houbois

            Chère cousine,

Quel soulagement de recevoir à nouveau une de vos lettres ! Je vous avouerai avec une certaine franchise, que j’ai été quelque peu inquiète de ne pas avoir de vos nouvelles rapidement. Je ne vous avais pas vu dans le voisinage ces derniers temps, et alors s’était formé dans mon esprit une folle idée, à savoir celle que vous étiez partie précocement à Paris, sans m’en avoir avertie à l’avance. Mais connaissant votre attitude prévenante et bienveillante à l’égard d’autrui, je savais pertinemment au fond de moi que mon idée était sans fondement raisonnable. Cependant, comme je vous le disais, l’arrivée de votre coursive m’a grandement apaisée.

L’histoire que vous m’avez contée de Papy a eu une certaine résonance et des échos sont parvenus jusqu’à Houbois. En effet, le samedi suivant la petite expédition qu’avait entrepris papy, nous étions Eléonore et moi, sorties en ville pour y acheter quelques rubans de mousseline et flâner un peu dans les rues grouillantes de monde. Vous savez à quel point Eléonore aime se plonger dans les bains de foule ! Alors que nous prenions une rue perpendiculaire à l’avenue X, nous entendîmes, à côté d’un magasin de gourmandises, Mme Doré et Mme Routte parler entre elles :

« …reçu en pleine après midi la visite de Mr Emile de Crecy, visite qui était fort peu convenable et inopportune, je puis vous l’assurer Mme Routte ! Ce vieil homme négligé m’a importuné et fait des avances peu recommandables. Mais je n’y ai guère prêté attention car voyez vous, ses yeux vitreux et sa démarche penaude m’ont fait comprendre tout de suite que j’avais à faire à un homme ivre. Je l’ai donc gentiment repoussé et conseillé de rentrer chez lui et de se coucher jusqu'à ce qu’il dé saoule.

- Voila donc une histoire fort peu anodine, répondit Mme Routte. J’ai toujours tenu en respect ce vieil Emile, mais il est vrai que depuis la disparition de sa femme, sa compagne favorite est devenue la bouteille. Quelle étrange consolation ! Sa famille ferait sérieusement mieux de s’occuper de lui ou Dieu ne sait à qui il ira se déclarer la fois prochaine. »

Sur ce, elles se mirent à rire et s’éloignèrent de bon pas. J’étais quelque peu abasourdie et ne put bouger pendant un instant. Ce grand père nous mène la vie dure, Inès ! Je souffre de la réputation qu’il va nous apporter. Mmes Doré et Routte ne savant tenir leur langue, il n’est pas difficile de prévoir que le village sera au courant de l’aventure de Papy d’ici peu de temps. Et alors la honte sera encore pire ! Comment parviendrons nous à surmonter cela ? Certes ce n’est pas la première fois que papy commet quelques actions néfastes à notre renommée, mais je pense que celle-ci est de loin la plus grave.

Lorsque nous sommes rentrées à Houbois, je n’ai pas voulu parler de la discussion que nous avions surprise à mon cher père, mais Eléonore a tellement insisté que j’ai fini par céder. Erreur fatale !  Mon père en a été terriblement affligé au point qu’il s’est levé et est sorti dehors sans nous dire un mot ni lancé un regard. Cela a tourmenté également ma mère.

Vous voyez, Inès comme le poids d’un grand père ne se comportant pas de manière correcte peut peser sur une famille.

Mais cessons de parler de choses déplaisantes et tristes. En arrivant au milieu de votre lettre, j’ai soudain été prise d’un fou rire incontrôlable, dû particulièrement à l’évocation des pommettes rouges et généralement au souvenir de ce cher Aristide. Il est vrai que je n’étais point insensible à son charme suave. C’est un garçon qui faisait preuve d’une grande mansuétude, d’une bonté et d’une gentillesse incomparable. Qui plus est, il dégageait, même à cette âge précoce, une certaine sensualité. Son port de tête me paraissait altier, ses yeux pétillaient d’une lueur d’intelligence et de ses pommettes rougissantes quand on lui faisait un compliment exaltaient une pudeur et une modestie modérée. Cet hiver où nous nous sommes, lui et moi, rencontrés restera gravé dans ma mémoire à jamais. C’est un souvenir agréable et distrayant que j’aime me rappeler à mes heures oisives.

Cependant, si je n’y fais plus allusion, c’est qu’il y a une raison bien particulière, raison qui d’ailleurs m’a réjouit mais étonnée il y a peu de temps.

En effet, vous ne devez sans doute pas être au courant, mais ce cher Aristide, aujourd’hui âgé de 26 ans, il me semble, s’est marié ! Je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer sa nouvelle épouse, mais ma mère, qui elle, a eu le privilège de la voir, m’en a dit beaucoup de bien. C’est une jeune fille d’une vingtaine d’année qui vient de Villefranche et qui avait, m’a-t-on dit, une dot fort élevée.

Quoiqu’il en soit, vous comprenez aisément pourquoi je préfère ne plus parler de cette faiblesse de cœur qu’il avait suscité en moi. Et puis, chère Inès, cela fait si longtemps, nous étions si jeunes ! Il est vrai je l’admets, que jusqu’à l’année dernière, je ressassais sans cesse ce sujet. Mais je me rends compte désormais qu’il vaut mieux avancer vers l’avenir et ne pas trop regarder en arrière. Vous ne pourrez me dire le contraire car à l’heure qu’il est vous devez être soulagée d’apprendre que je n’y ferai plus jamais allusion, du moins en votre présence. Je vous prie de m’excuser des nombreuses heures d’ennui que j’ai dû vous faire subir à évoquer pour je ne sais combien de fois ce souvenir de jeunesse.

Comme vous l’avez si judicieusement remarqué, j’ai attrait pour les choses qui ne touchent personne, ou qui généralement passent inaperçues pour la plupart des gens. Oui, par exemple, ces chères pommettes rouges, dont vous m’avez parlé, qui, pour la majorité des individus, restent un détail sans importance dans l’apparence globale. Mais moi, j’y décèle beaucoup plus. Ce petit détail, justement, ajoute un charme imperceptible mais attirant, et mon intérêt pour la personne en sera davantage augmenté.

Je me rappelle d’une fois, excusez mais ma mémoire me fait défaut de la date et des circonstances, où j’étais sortie avec ma mère me rafraîchir quelque peu. Alors que nous nous promenions, un petit garçon, apparu de nulle part, vint vers nous. Il nous regarda, nous sourit et nous demanda si nous n’avions pas vu de petite fille se promenant, car disait-il c’était sa jeune sœur qu’il cherchait. Nous lui répondîmes que non et alors le garçonnet parti d’un pas nonchalant. Ma mère déclara alors d’un ton détaché qu’elle n’avait « pas trouvé ce petit homme agréable. » Certes, il portait des vêtements usités, ses joues étaient légèrement salies et sa démarche était branlante. Ayant moi-même remarqué ces torts, j’avais cependant aperçu une chose que je trouvais absolument fabuleuse : le petit garçon avait dans son œil gauche, une petite tâche d’un bleu puissant, merveilleusement contrasté par le vert émeraude de son iris. Cette particularité ajoutait une sorte d’espièglerie au regard de cet enfant. Ma mère ne semblait rien avoir remarqué, alors que moi j’étais émue.

Peut être ai-je un sens de l’observation trop aigu, peut être cela ne sert il à rien de s’émouvoir d’une bagatelle, mais j’aime à admirer les personnes pour leur trouver un charme dans un détail peu commun.

Pour répondre à vos questionnements sur mes sentiments actuels, je puis vous dire que le temps de sortir étant rare en ce moment, je n’ai pas eu l’occasion de me présenter aux bals et ainsi faire la connaissance de jeunes hommes qui pourraient postuler pour le rôle d’époux. Vous voici donc, j’espère, renseignée sur vos interrogations.

Ces temps-ci, je m’occupe surtout et principalement à essayer qu’Eléonore devienne plus extravertie pour être à l’aise lors de sa première sortie dans le monde qui est maintenant dans à peu près un mois. Je lui fais faire des exercices théâtraux où elle doit prendre la parole devant tout le monde (c'est-à-dire ma petite famille), où elle doit improviser et articuler. Je lui ai également appris à avoir un bon maintient, à marcher la tête relevée et à toujours sourire.

Il me reste encore à lui faire réviser quelque pas de danse car la pauvre à la fâcheuse habitude se s’en mêler les pieds, ce qui lui cause du grand souci. Mais mon père et moi la réconfortons et l’encourageons.

De plus, elle nous a pardonné de l’avoir vexé pour le refus que nous obtempérions de la voir fabriquer sa robe de bal. C’est avec une très grande joie qu’elle a reçu l’approbation la coudre elle même. Je l’ai avertie qu’elle devait ce changement d’avis à vous chère cousine, et ma sœur ne devrait pas donc pas tarder à vous rendre une visite pour vous remercier.

Passons maintenant, à une chose qui me tient très à cœur. Je voulais vous reparler du mariage d’Edouard et de Juliette. Je sais que nous en avons discuté des centaines de fois depuis la célébration il y a maintenant 1 mois, mais je ne me lasse pas de vous entendre répéter que la mariée était magnifiquement vêtue d’une robe en chaly dont le corsage était minutieusement travaillé. Ses bracelets en rubans chinés et son chapeau en paille de riz harmonisaient parfaitement le tout. Juliette est coquette, mais cela lui sied si bien ! Quant au marié, il abordait un air et une figure des plus gracieux. J’ai vu ma mère pleurer durant l’échange des alliances aux reflets nacrés, et j’ai senti que mon père tout ému en les voyant nager en plein bonheur. Le repas était des plus délicieux, les corbeilles de fleurs jaunes se mariaient si bien avec les feuilles orangées et rougeâtres qui tombaient en tourbillonnant des arbres. Pour couronner le tout, le temps était au beau fixe, même pour un mois d’octobre, ce qui ajoutait à cette journée une dimension pittoresque et féerique.

Je regrette juste cependant que Louise et Amanda aient été si sottes et si peu respectueuses en cette journée. Avez-vous remarqué la façon indécente avec laquelle elles se comportaient ? Elles couraient de partout, éclataient de rire bruyamment et importunaient papy Emile qui ne doit, je pense, se rappeler peu de choses de cette journée sublime tant il a eu la main lourde sur la boisson.

Donnez moi, je vous prie, votre avis sur tout cela.

J’ai été très heureuse de partager ce délicieux jour en votre compagnie et j’espère qu’il en est de même pour vous. De plus, comme je vous l’avais dit dans ma lettre précédente, je suis satisfaite de l’épouse que mon frère a choisi et je me réjouie à l’idée qu’elle fasse désormais partie de la famille. Le seul point qui pourrait m’attrister est qu’Edouard va bientôt partir du domaine pour aller emménager ailleurs et fonder à son tour une famille. La date de son départ n’est pas encore prévue, mais ce n’est qu’une question de temps, de logement et d’argent…

Je continuerai cette lettre en vous donnant mon avis sur Agathe Laboursein. Effectivement, je suis connue d’elle. D’ailleurs, qui ne connaît-elle pas ? Cette extravagante personne parait en effet avoir un penchant pour ce qui concerne les relations sociales. A chaque fois que je la vois, elle est entourée de multiples personnes, souvent différentes d’un jour à l’autre. Elle aime se sentir entourer de gens qu’elle aime, mais au fond combien de personnes, parmi son entourage, l’apprécient ? Elle est généreuse, certes, mais devient encombrante quand on commence à mieux la connaître.

Je n’aime pas beaucoup les manières frustres avec lesquelles se comporte Agathe. Elle est vraiment trop expressive et aime à ce qu’on la remarque. Elle manque de tact pour s’adresser aux personnes et est trop brusque dans ses gestes. De plus, son statut de bourgeoise dont elle se dote alors qu’elle ne le mérite nullement montre à quel point elle se prétend supérieure aux autres. Quelle erreur !

Quelle honte a dû être la vôtre lorsque vous rencontrâtes ce Mr de Montbistou ! Agathe et Mme Fratelat se mêlent énormément des affaires des autres sans aucune discrétion. Dans quel embarras cela les mènera-t-elles un jour ?

De plus, Agathe n’a aucune considération pour les hommes. J’ai l’impression que les qualités morales l’intéressent peu et que le physique prime avant toute chose. Mais quelle sorte de personne est-elle pour penser ainsi ? N’y a-t-il pas, pour elle, plus important que l’apparence ?

Je trouve d’ailleurs que la manière dont elle se poudre le visage et la façon dont elle se vêtit démontrent assez bien sa superficialité et son manque de discernement et de réflexion.

Je vois d’un œil assez noir le fait qu’elle s’attache à nous et j’en conviens, comme vous, qu’il faudrait soit la rappeler à la morale, soit l’évincer de notre cercle.

Pour ce qui est de Mr de Montbistou, j’espère que vous n’aurez plus jamais la malchance de le croiser, comme votre gène en serait terrible. Cependant, je ne sais pour quelle raison, un pressentiment m’indique que ce n’était pas la dernière fois que vous le verrez. Mais patientons, c’est le temps qui confirmera ou non ce que je ressens.

Quoiqu’il en soit, votre histoire m’a pleinement divertie et j’abordai un sourire toute la soirée.

Le temps se refroidissant de plus en plus, je pense que mes visites chez vous se feront de plus en plus espacées, d’autant plus que papa et Eléonore ont besoin de mes services. Si par hasard votre départ pour Paris se ferait alors que je ne suis pas disponible, je vous prie de m’informer par lettre du déroulement exact.

En espérant que votre famille se porte à merveille, adressez leur mes plus chaudes salutations.

            Avec toute mon affection,

                                               Rosalie de Rosyères.

 

    

 

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